Aller au contenu

Page:Baltasar Gracián - L’Homme de cour.djvu/167

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
167
L’HOMME DE COUR

CCLXXVII

L’homme d’ostentation.

Ce talent donne du lustre à tous les autres. Chaque chose a son temps, et il faut épier ce temps, car chaque jour n’est pas un jour de triomphe. Il y a des gens d’un caractère particulier, en qui le peu paraît beaucoup, et que le beaucoup fait admirer. Lorsque l’excellence est jointe avec l’étalage, elle passe pour un prodige. Il y a des nations ostentatives, et l’espagnole l’est au suprême degré. La montre tient lieu de beaucoup, et donne un second être à tout, et particulièrement quand la réalité la cautionne. Le ciel, qui donne la perfection, y joint aussi l’ostentation, car sans elle toute perfection serait dans un état violent. À l’ostentation, il y faut de l’art. Les choses les plus excellentes dépendent des circonstances, et par conséquent elles ne sont pas toujours de saison. Toutes les fois que l’ostentation s’est faite à contretemps, elle a mal réussi, rien ne souffre moins l’affectation ; et c’est toujours par cet endroit que l’ostentation échoue, parce qu’elle approche fort de la vanité, et que celle-ci est très sujette au mépris. Elle a besoin d’un grand tempérament pour ne pas donner dans le vulgaire ; car son trop l’a déjà décréditée parmi les gens d’esprit. Quelquefois elle consiste dans une éloquence muette, et dans l’art de montrer la perfection comme par manière d’acquit ; car une sage dissimulation est une parade plausible, cette même privation aiguillonnant plus vivement la curiosité. Sa grande adresse est de ne pas montrer toute sa perfection en une seule fois, mais seulement par pièces, et comme si l’on était à