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Page:Baltasar Gracián - L’Homme de cour.djvu/78

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L’HOMME DE COUR

premier soin est de parler bien de ses ennemis, et de les servir encore mieux. C’est dans les occasions de se venger qu’il parait avec plus d’éclat. Il ne néglige pas ces occasions, mais c’est pour en faire un bon usage, en préférant la gloire de pardonner au plaisir d’une vengeance victorieuse. Ce procédé est même politique, attendu que la plus fine raison d’État n’affecte jamais ces avantages, parce qu’elle n’affecte rien ; et quand le bon droit les remporte, la modestie les dissimule.

CXXXII

S’aviser, et se raviser.

En appeler à la révision, c’est la voie la plus sûre, surtout quand l’avantage est certain ; soit pour octroyer, ou pour mieux délibérer, il est toujours bon de prendre du temps. Il vient de nouvelles pensées, qui confirment et fortifient la résolution. S’il est question de donner, le don est plus estimé à cause du discernement de celui qui le fait, que pour le plaisir de ne l’avoir pas attendu. Ce qui a été désiré, a toujours été plus estimé. Si c’est une chose à refuser, le temps en facilite la manière, en laissant mûrir le non jusqu’à ce que la saison soit venue ; joint que le plus souvent, dès que la première chaleur du désir est passée, l’on reçoit indifféremment la rigueur du refus. Ceux qui demandent à la hâte doivent être écoutés à loisir ; c’est le vrai moyen d’éviter la surprise.