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Page:Balzac-Le député d'Arcis-1859.djvu/115

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élèvent au-dessus de plus d’une tête parisienne. Il avait laissé les soucis apparaître sur son front, il venait de refuser de jouer chez madame d’Espard, il avait causé avec les femmes en donnant des preuves de distraction, et il avait fini par rester muet et absorbé dans le fauteuil d’où il venait de se lever comme le spectre de Banquo.

Le comte Maxime de Trailles se trouva l’objet de tous les regards, directs ou indirects, placé comme il l’était au milieu de la cheminée, illuminé par les feux croisés de deux candélabres. Le peu de mots dits sur lui l’obligeait en quelque sorte à se poser fièrement, et il se tenait, en homme d’esprit, sans arrogance, mais avec l’intention de se montrer au-dessus des soupçons.

Un peintre n’aurait jamais pu rencontrer un meilleur moment pour saisir le portrait de cet homme, certainement extraordinaire. Ne faut-il pas être doué de facultés rares pour jouer un pareil rôle, pour avoir toujours séduit les femmes pendant trente ans, pour se résoudre à n’employer ses dons que dans une sphère cachée, en incitant un peuple à la révolte, en surprenant les secrets d’une politique astucieuse, en ne triomphant que dans les boudoirs ou dans les cabinets ?

N’y a-t-il pas je ne sais quoi de grand à s’élever aux plus hauts calculs de la politique, et à retomber froidement dans le néant d’une vie frivole ? Quel homme de fer que celui qui résiste aux alternatives du jeu, aux rapides voyages de la politique, au pied de guerre de l’élégance et du monde, aux dissipations des galanteries nécessaires, qui fait de sa mémoire une bibliothèque de ruses et de mensonges, qui enveloppe tant de pensées diverses, tant de manéges sous une impénétrable élégance de manières ! Si le vent de la faveur avait soufflé dans ces voiles toujours tendues, si le hasard des circonstances avait servi Maxime, il eût été Mazarin, le maréchal de Richelieu, Potemkin ou peut-être plus justement Lauzun, sans Pignerol.