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Page:Balzac-Le député d'Arcis-1859.djvu/143

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que Daniel Darthez et lui furent les témoins de votre mariage.

— Les débuts de Dorlange, — disait Joseph Bridau au moment où je m’approchai pour écouter, — ont été magnifiques. Il y avait déjà du grand maître dans sa sculpture de concours que l’Académie, sous la pression de l’opinion, se décida à couronner, quoiqu’il se fût assez plaisamment moqué de son programme.

— C’est vrai, répondit monsieur Bixiou, — et la Pandore qu’il exposa en 1837, à son retour de Rome, est également une figure très-remarquable. Mais comme elle lui a tout donné du premier coup, la croix, des commandes du gouvernement et de la ville, et dans les journaux une trentaine d’articles ébouriffants, il me paraît très-difficile qu’il se relève de ce succès-là.

— Ça, — dit Émile Blondet, — c’est une opinion à la Bixiou.

— Sans doute, et très-motivée. Connais-tu l’homme ?

— Non ; on ne le voit nulle part.

— Justement, le lieu où il fréquente le plus. C’est un ours, mais un ours avec préméditation ; un ours prétentieux et réfléchi.

— Je ne vois pas, reprit Joseph Bridau, que cette sauvagerie soit une très-mauvaise disposition pour un artiste. Qu’est-ce qu’un sculpteur surtout a tant à gagner dans les salons où les messieurs et les dames ont pris l’habitude d’aller vêtus ?

— Dans les salons, d’abord, un sculpteur se distrait, ce qui l’empêche de tourner à la manie et au songe-creux ; ensuite il y voit comment le monde est fait, et que 1839 n’est ni le quinzième ni le seizième siècle.

— Comment, dit Émile Blondet, est-ce que le pauvre garçon a de ces illusions-là ?

— Lui ? il vous parle couramment de recommencer la vie des grands artistes du moyen âge avec l’universalité de leurs études et de leurs connaissances, et cette effrayante vie de labeur que peuvent faire comprendre les mœurs d’une société à demi barbare, mais que la nôtre ne comporte plus.