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Page:Balzac-Le député d'Arcis-1859.djvu/168

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tait bien ma pose, bien mes yeux, bien ma bouche et bien aussi les deux fossettes de mes joues.

Enfin, je crus devoir prendre à mon compte le rôle dont monsieur de l’Estorade semblait tout à fait donner sa démission, et d’un air très-sérieux :

— Ne pensez-vous pas, monsieur, dis-je à l’impertinent artiste, que s’approprier sans permission, tranchons le mot, que voler ainsi la figure des gens, pourrait bien leur paraître un procédé un peu étrange ?

— Aussi, madame, me répondit-il d’un ton respectueux, ma soustraction frauduleuse n’aurait-elle été poussée que jusqu’au point où vous l’auriez soufferte. Bien que ma statue soit destinée à aller s’enfouir dans un oratoire de religieuses, je ne l’eusse pas mise en route sans avoir obtenu de vous l’agrément de la laisser dans l’état où elle était venue. J’aurais su, quand je l’aurais voulu, votre adresse, et vous confessant l’entraînement auquel j’avais cédé, je vous aurais suppliée de venir visiter mon œuvre. Une fois en sa présence, dans le cas où une ressemblance trop exacte eût paru vous désobliger, je vous aurais dit ce que je dis encore aujourd’hui : qu’avec quelques coups de ciseau, je me charge de dérouter les yeux les plus exercés.

Il s’agissait bien, vraiment, d’atténuer la ressemblance ! Mon mari, apparemment, trouvait qu’on ne l’avait pas serrée d’assez près, car, en ce moment, s’adressant à monsieur Dorlange :

— Monsieur, lui dit-il béatement, ne trouvez-vous pas que dans le nez de madame de l’Estorade il y a quelque chose de plus fin ?

Bouleversée que j’étais par tout cet imprévu, j’aurais, je crois, très-mal plaidé la cause de monsieur Marie-Gaston ; mais dès les premiers mots que j’en touchai à monsieur Dorlange :

— Je sais, madame, me répondit-il, tout ce que vous pourriez me dire à la décharge de mon infidèle. Je ne lui pardonne pas, mais j’oublie. Les choses ayant tourné à ce que je manquasse de me faire tuer pour lui, il y aurait vraiment trop peu de logique à vouloir lui garder rancune.