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Page:Balzac-Le député d'Arcis-1859.djvu/178

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chère madame, j’aurais beaucoup mieux aimé ne pas me trouver si souvent dans sa pensée et sous son ciseau.

Quant à monsieur de l’Estorade, après avoir travaillé pendant une heure à trouver dans son cabinet la place où le chef-d’œuvre serait le mieux dans son jour :

— En allant à la cour des comptes, vint-il me dire, je passerai chez monsieur Dorlange ; s’il est libre ce soir, je le prierai de venir dîner avec nous ; Armand, qu’il ne connaît pas encore, sort aujourd’hui ; il verra ainsi toute la famille réunie et vous pourrez lui faire vos remercîments.

Je n’approuvais pas l’idée de cette invitation en famille. Il me parut qu’elle installait monsieur Dorlange sur un pied d’intimité que sa nouvelle galanterie recommençait à me faire trouver dangereuse. À quelques objections que je fis :

— Mais, ma chère, me répondit monsieur de l’Estorade, la première fois que nous le reçûmes, vous vouliez que ce fût en petit comité, ce qui eût été parfaitement maladroit ; et aujourd’hui que cela devient convenable, vous y voyez des difficultés.

À un si bel argument, qui me prenait en flagrant délit de contradiction, je n’avais pas un mot à dire, si ce n’est, à part moi, que les maris n’ont vraiment pas la main heureuse.

Monsieur Dorlange consentit à être des nôtres. Il dut me trouver un peu froide dans l’expression de ma reconnaissance. J’allai même jusqu’à lui dire qu’il avait mal interprété ma pensée et que je ne lui aurais pas demandé de modifier sa statue, ce qui était lui créer un regret, et implicitement ne pas donner une grande approbation à son envoi de la matinée. Il eut d’ailleurs le talent de me déplaire par un autre côté sur lequel, vous le savez, je ne suis pas fort traitable.

À dîner, monsieur de l’Estorade revint sur sa candidature, à laquelle il donna moins que jamais son approbation, tout en ayant cessé de la trouver ridicule. Cela menait droit à la politique. Armand, qui est un esprit grave et réfléchi et qui lit les journaux, se mêla de la conversation. Contre l’usage de la jeunesse actuelle, il est de l’opinion de son père