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Page:Balzac-Le député d'Arcis-1859.djvu/188

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cidé à ne pas lâcher le sphinx que je ne l’eusse fait parler. Mais là, nouveau désappointement : monsieur Jacques Bricheteau s’était fait remplacer par un de ses élèves, et, pendant trois dimanches de suite, même substitution.

Le quatrième, je pris le parti d’aborder le suppléant et de lui demander si le maestro était malade.

— Non, monsieur. Monsieur Bricheteau a pris un congé ; il est absent pour quelque temps, par suite d’un voyage d’affaires.

— Alors, où pourrait-on lui écrire ?

— Je ne sais pas au juste ; il me semble pourtant qu’en adressant votre lettre à son domicile, à deux pas d’ici, quai de Béthune…

— Mais il a déménagé ; vous ne le savez donc pas ?

— Non, vraiment ; et où demeure-t-il ?

J’étais bien chanceux : je demandais des renseignements à un homme qui me priait de l’instruire quand je l’interrogeais. Comme pour achever de me mettre hors de moi, pendant que je prenais mes informations en si bon lieu, de loin j’aperçus le damné sourd et muet qui faisait mine de rire en me regardant.

Heureusement pour mon impatience et ma curiosité qui, s’exaltant de chaque délai, se montaient peu à peu à un diapason vraiment inquiétant, un peu de lumière se fit.

Quelques jours après ma dernière déconvenue, une lettre me parvint, et plus habile que le concierge du quai de Béthune, tout d’abord je sus voir qu’elle était timbrée de Stockholm, Suède, ce qui ne me surprit pas autrement. À Rome, j’avais été honoré de la bienveillance de Thorwaldsen, le grand sculpteur suédois, et souvent dans son atelier j’avais vu de ses compatriotes ; c’était peut-être quelque commande qui m’arrivait par son intermédiaire ; mais la lettre décachetée, juge un peu de ma surprise et de mon émotion, en présence de ces premiers mots : Monsieur mon fils…

La lettre était longue et je n’eus pas la patience de la lire avant de savoir le nom que je portais. Je courus donc d’abord à la signature ; cette forme : Monsieur mon fils,