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Page:Balzac-Le député d'Arcis-1859.djvu/260

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cellente. Ayant depuis sa restauration recueilli d’assez importantes libéralités, elle s’était, de plus, enrichie de toutes les épargnes que sa supérieure avait faites pendant la durée assez longue de son pensionnat laïque, et qu’elle avait généreusement versées à l’économat du couvent. Laurent Goussard dut donc demeurer stupéfait quand il s’entendit répondre :

« Vos propositions ne me vont pas. Je ne puis pas acheter au rabais ; ma conscience me le défend. Avant la révolution, les biens de notre abbaye étaient estimés à tant ; c’est ce prix que je veux en donner et non celui auquel ils étaient tombés en suite de la dépréciation subie par toutes les propriétés dites nationales. En un mot, mon ami, je veux payer plus cher, voyez si cela vous convient. »

Laurent Goussard crut d’abord mal comprendre ou avoir été mal compris, mais quand il fut bien expliqué qu’aux prétendus scrupules de conscience de la mère Marie-des-Anges il gagnait environ une somme de cinquante mille francs, il ne voulut pas faire violence à cette conscience si délicate, et en mettant la main sur ce bénéfice, qui réellement lui tombait du ciel, il alla conter partout ce merveilleux procédé qui, vous le sentez bien, madame, auprès de tous les acquéreurs de biens nationaux, mit aussitôt la mère Marie-des-Anges dans une estime à n’avoir jamais plus rien à craindre d’une dévolution nouvelle. Personnellement Laurent Goussard devint pour elle une espèce de séïde ; il ne fait plus maintenant une affaire, ne remue pas un sac de farine sans aller la consulter, et, comme elle le disait plaisamment l’autre jour, elle aurait la fantaisie de faire de monsieur le sous-préfet un saint Jean-Baptiste, qu’un quart d’heure après, Laurent Goussard lui apporterait dans un sac la tête de ce fonctionnaire. N’est-ce pas vous dire, madame, qu’au premier signe de notre supérieure, il apportera au candidat désigné par elle son vote et celui de tous ses amis ?

Dans le clergé, la mère Marie-des-Anges a naturellement bien des ramifications, tant à cause de sa robe que de sa réputation de haute vertu ; mais elle compte surtout au