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Page:Balzac-Le député d'Arcis-1859.djvu/279

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heures, pendant que madame Beauvisage et sa fille vont dans ce qu’on est convenu d’appeler le monde à Arcis.

Mais il n’est pire eau, comme on dit, que l’eau qui dort, de même que rien de moins chaste et de moins ordonné que la calme et tranquille Rossinante dans la rencontre rappelée il n’y a qu’un moment.

Tant il y a, qu’en faisant dans sa ville la ronde dont chaque jour il a la louable habitude, Beauvisage, du haut du pont, vint à remarquer la Parisienne qui, le bras virilement tendu et le corps cambré gracieusement, se livrait à son occupation favorite. Un petit mouvement, d’une charmante impatience avec laquelle la jolie pêcheuse tirait sa ligne hors de l’eau quand le poisson n’avait pas mordu, fut peut-être le choc électrique qui retentit au cœur de ce magistrat jusqu’à ce jour irréprochable. Nul ne peut dire, d’ailleurs, comment la chose se fit et à quel moment précis. Je dois faire remarquer seulement qu’entre sa retraite du commerce des bonnets de coton et sa mairie, Beauvisage avait lui-même pratiqué l’art de la pêche à la ligne avec un talent distingué, et aujourd’hui il le pratiquerait certainement encore, n’était sa grandeur qui, au rebours de Louis XIV, l’éloigne du rivage. Sans doute il lui parut que la pauvre enfant, ayant plus de bonne volonté que de science, ne s’y prenait pas comme il faut, et il n’est pas impossible, toute son administrée temporaire qu’elle soit, que l’idée de la remettre dans la bonne voie ait été la cause de son apparent désordre. Ce qu’il y a de certain, c’est que, venant à passer sur le pont, dans la compagnie de sa mère, mademoiselle Beauvisage s’écrie en véritable enfant terrible :

— Tiens, papa qui cause avec la Parisienne !

S’assurer, par un regard, de la monstruosité du fait ; d’un pas précipité descendre la berge ; arriver à portée de son mari qu’elle trouve la bouche riante, avec un air heureux de mouton qui broute ; le foudroyer d’un Que faites-vous donc là ? à ne lui laisser d’autre refuge que l’Aube, et d’un air de reine lui intimer l’ordre de retraite, pendant que, d’abord étonnée, mademoiselle Chocardelle, devinant ce dont il s’agit, se livre aux éclats de la gaieté la moins mesurée, tel