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Page:Balzac-Le député d'Arcis-1859.djvu/295

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J’avoue que, dans la disposition d’esprit inquiète et agitée où je me trouvais alors, l’espèce de créance que monsieur de l’Estorade semblait donner au scandale dont il m’entretenait me causa quelque chagrin et quelque étonnement. Comment pensai-je, est-il possible qu’un homme de la moralité et de l’intelligence de monsieur de l’Estorade puisse à priori me supposer capable d’un tel désordre, quand il me voit d’ailleurs soucieux de donner à ma vie toute la gravité et toute la considération qui peuvent commander l’estime ? Mais au compte qu’il fait de ma singulière liberté de mœurs, m’admettre dans sa maison, auprès de sa femme, sur un certain pied d’intimité, serait d’une telle imprévoyance, qu’en ce moment sans doute je profite d’une bienveillance essentiellement précaire et provisoire. Le souvenir encore récent d’un service rendu, a pu, pendant un instant, en faire paraître le semblant nécessaire, mais, à la première occasion on rompra avec moi, et il me parut, madame, dans cette soirée, que notre place prochainement assignée par nos opinions politiques dans deux camps ennemis, pourrait bien être le prétexte saisi par monsieur de l’Estorade pour me renvoyer tout entier à ce qu’il appelait ma honteuse liaison.

Une heure avant l’observation de ces attristants symptômes, je vous avais fait une confidence qui semblait au moins devoir me préserver du malheur de voir la fâcheuse impression de monsieur de l’Estorade ayant accès auprès de vous. Je ne vis donc point la nécessité immédiate de vous présenter ma justification : deux histoires dans la même soirée me parurent mettre votre patience à une trop rude épreuve. Quant à monsieur de l’Estorade, j’étais, je dois l’avouer, piqué contre lui, en le voyant se faire si négligemment l’écho d’une calomnie contre laquelle il me paraissait que j’aurais dû être mieux défendu par la nature des relations qui avaient existé entre nous, et avec lui je ne daignai pas entrer en explication : ce mot, je le retire aujourd’hui, mais il était alors l’expression vraie d’un déplaisir vivement ressenti.

Par la fortune de ma lutte électorale, j’ai été amené à don-