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Page:Balzac-Le député d'Arcis-1859.djvu/299

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— Comment cela ? demandai-je.

— Après qu’il m’a fait cet affront, reprit l’Italienne, il rentra chez nous, me battit comme c’était sa coutume, et puis sortit toute la journée. Le soir il revint et me menaça d’un pistolet que je lui arrachai ; il était ivre ; je jetai ce briccone (coquin) sur son lit où il s’endormit. Alors je calfoutrai la porte et les fenêtres, et ayant mis grand charbon dans un brasero, je l’allumai. J’eus bien mal à ma tête et ne sus rien ensuite que le lendemain, soignée par les voisines, qui avaient senti le charbon et enfoncé la porte, mais lui était mort avant.

— Et la justice ?

— La justice a su tout : de plus qu’il voulait me vendre à un Anglais ; pourquoi chez vous il avait voulu m’avilir, parce qu’alors j’eusse moins résisté. La justice me dit d’aller, que c’était bien ; je me suis confessée et j’ai l’absolution.

— Mais, cara mia, que voulez-vous faire en France ? je ne suis pas riche comme un Anglais.

Un sourire de dédain passa sur le beau visage de l’Italienne.

— Je ne vous coûterai pas, me dit-elle, bien au contraire, je vous économiserai beaucoup.

— Et de quelle façon ?

— Je puis être modèle pour vos statues, si je le veux bien, moi. Benedetto disait que je suis très-bien faite, de plus, savante ménagère ; si Benedetto voulait, nous faisions une bonne maison, per che, j’ai aussi du talent.

Et courant décrocher une guitare que j’avais dans un coin de mon atelier, elle se mit à chanter un air de bravoure en s’accompagnant avec une rare énergie.

— En France, reprit-elle, quand elle eut fini, je prends des leçons et monte sur le théâtre, où je réussis bien ; c’était l’idée de Benedetto.

— Mais pourquoi ne pas vous faire actrice en Italie ?

— Depuis Benedetto mort, je me cache : l’Anglais veut m’enlever. Je suis décidée pour aller en France ; vous voyez, j’ai appris le français ; si je reste, je vais dans le Tibre.