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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/119

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ne le comporte, d’Arthez était en proie à ces émouvantes irrésolutions causées par la puissance des désirs et par la terreur de déplaire, situation à laquelle une jeune femme ne comprend rien quand elle la partage, mais que la princesse avait trop souvent fait naître pour ne pas en savourer les plaisirs. Aussi Diane jouissait-elle de ces délicieux enfantillages avec d’autant plus de charme qu’elle savait bien comment les faire cesser. Elle ressemblait à un grand artiste se complaisant dans les lignes indécises d’une ébauche, sûr d’achever dans une heure d’inspiration le chef-d’œuvre encore flottant dans les limbes de l’enfantement. Combien de fois, en voyant d’Arthez prêt à s’avancer, ne se plut-elle pas à l’arrêter par un air imposant ? Elle refoulait les secrets orages de ce jeune cœur, elle les soulevait, les apaisait par un regard, en tendant sa main à baiser, ou par des mots insignifiants dits d’une voix émue et attendrie. Ce manége, froidement convenu mais divinement joué, gravait son image toujours plus avant dans l’âme de ce spirituel écrivain, qu’elle se plaisait à rendre enfant, confiant, simple et presque niais auprès d’elle ; mais elle avait aussi des retours sur elle-même, et il lui était alors impossible de ne pas admirer tant de grandeur mêlée à tant d’innocence. Ce jeu de grande coquette l’attachait elle-même insensiblement à son esclave. Enfin, elle s’impatienta contre cet Épictète amoureux, et, quand elle crut l’avoir disposé à la plus entière crédulité, elle se mit en devoir de lui appliquer sur les yeux le bandeau le plus épais.

Un soir Daniel trouva Diane pensive, un coude sur une petite table, sa belle tête blonde baignée de lumière par la lampe ; elle badinait avec une lettre qu’elle faisait danser sur le tapis de la table. Quand d’Arthez eut bien vu ce papier, elle finit par le plier et le passer dans sa ceinture.

— Qu’avez-vous ? dit d’Arthez, vous paraissez inquiète.

— J’ai reçu une lettre de monsieur de Cadignan, répondit-elle. Quelque graves que soient ses torts envers moi, je pensais, après avoir lu sa lettre, qu’il est exilé, sans famille, sans son fils qu’il aime.

Ces paroles, prononcées d’une voix pleine d’âme, révélaient une sensibilité angélique. D’Arthez fut ému au dernier point. La curiosité de l’amant devint pour ainsi dire une curiosité presque psychologique et littéraire. Il voulut savoir jusqu’à quel point cette femme était grande, sur quelles injures portait son pardon, comment ces