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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/23

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— Bref un moutard qui tenait ses dix-huit mille livres de rente à la disposition des premières actions venues, dit Couture.

— Ce diable de Couture a tellement l’habitude d’anticiper les dividendes, qu’il anticipe le dénoûment de mon histoire. Où en étais-je ? Au retour de Beaudenord. Quand il fut installé quai Malaquais, il arriva que mille francs au-dessus de ses besoins furent insuffisants pour sa part de loge aux Italiens et à l’Opéra. Quand il perdait vingt-cinq ou trente louis au jeu dans un pari, naturellement il payait ; puis il les dépensait en cas de gain, ce qui nous arriverait si nous étions assez bêtes pour nous laisser prendre à parier. Beaudenord, gêné dans ses dix-huit mille livres de rente sentit la nécessité de créer ce que nous appelons aujourd’hui le fond de roulement. Il tenait beaucoup à ne pas s’enfoncer lui-même. Il alla consulter son tuteur : « Mon cher enfant, lui dit d’Aiglemont, les rentes arrivent au pair, vends tes rentes, j’ai vendu les miennes et celles de ma femme. Nucingen a tous mes capitaux et m’en donne six pour cent ; fais comme moi, tu auras un pour cent de plus, et ce un pour cent te permettra d’être tout à fait à ton aise. » En trois jours, notre Godefroid fut à son aise. Ses revenus étant dans un équilibre parfait avec son superflu, son bonheur matériel fut complet. S’il était possible d’interroger tous les jeunes gens de Paris d’un seul regard, comme il paraît que la chose se fera lors du jugement dernier pour les milliards de générations qui auront pataugé sur tous les globes, en gardes nationaux ou en sauvages, et de leur demander si le bonheur d’un jeune homme de vingt-six ans ne consiste pas : à pouvoir sortir à cheval, en tilbury, ou en cabriolet avec un tigre gros comme le poing, frais et rose comme Toby, Joby, Paddy ; à avoir, le soir, pour douze francs, un coupé de louage très-convenable ; à se montrer élégamment tenu suivant les lois vestimentales qui régissent huit heures, midi, quatre heures et le soir ; à être bien reçu dans toutes les ambassades, et y recueillir les fleurs éphémères d’amitiés cosmopolites et superficielles ; à être d’une beauté supportable, et à bien porter son nom, son habit et sa tête ; à loger dans un charmant petit entresol arrangé comme je vous ai dit que l’était l’entresol du quai Malaquais ; à pouvoir inviter des amis à vous accompagner au Rocher de Cancale sans avoir interrogé préalablement son gousset, et n’être arrêté dans aucun de ses mouvements raisonnables par ce mot : Ah ! et de l’argent ? à pouvoir renouveler les bouffettes roses qui embel-