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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/299

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— Hé ! bien, dit des Lupeaulx à madame Rabourdin, que pensez-vous de notre ministre ?

— Il est charmant. Vraiment, répondit-elle en élevant la voix pour se faire entendre de la femme de l’Excellence, il faut les connaître pour les apprécier ces pauvres ministres. Les petits journaux et les calomnies de l’Opposition défigurent tant les hommes politiques que l’on finit par se laisser influencer ; mais ces préventions tournent à leur avantage quand on les voit.

— Il est très-bien, dit des Lupeaulx.

— Eh ! bien, je vous assure qu’on peut l’aimer, dit-elle avec bonhomie.

— Chère enfant, dit des Lupeaulx en prenant à son tour un air bonhomme et câlin, vous avez fait la chose impossible.

— Quoi ? dit-elle.

— Vous avez ressuscité un mort, je ne lui croyais pas de cœur, demandez à sa femme ? il en a juste de quoi défrayer une fantaisie ; mais profitez-en, venez par ici, ne soyez pas étonnée. Il amena madame Rabourdin dans le boudoir et s’assit avec elle sur le divan.

— Vous êtes une rusée, et je vous en aime davantage. Entre nous, vous êtes une femme supérieure. Des Lupeaulx vous a conduite ici, tout est dit pour lui, n’est-ce pas ? D’ailleurs, quand on se décide à aimer par intérêt, il vaut mieux prendre un sexagénaire ministre qu’un quadragénaire secrétaire-général : il y a plus de profit et moins d’ennuis. Je suis un homme à lunettes, à tête poudrée, usé par les plaisirs, le bel amour que cela ferait ! Oh ! je me suis dit cela ! S’il faut absolument accorder quelque chose à l’utile, je ne serai jamais l’agréable, n’est-ce pas ? Il faut être fou pour ne pas savoir raisonner sa position. Vous pouvez m’avouer la vérité, me montrer le fond de votre cœur : nous sommes deux associés et non pas deux amants. Si j’ai quelque caprice, vous êtes trop supérieure pour faire attention à de telles misères, et vous me le passerez ; autrement, vous auriez des idées de petite pensionnaire ou de bourgeoise de la rue Saint-Denis ! Bah ! nous sommes plus élevés que tout cela, vous et moi. Voilà la marquise d’Espard qui s’en va, croyez-vous qu’elle ne pense pas ainsi ? Nous nous sommes entendus ensemble il y a deux ans (le fat !), eh ! bien, elle n’a qu’à m’écrire un mot, et il n’est pas long : Mon cher des Lupeaulx, vous m’obligerez de faire telle ou telle chose ! c’est exécuté ponctuellement ; nous pensons en ce moment à faire interdire son