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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/364

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genterie du pauvre à Paris ; un corbillon plein de pommes de terre et du linge à blanchir, puis par-dessus un frais bonnet de gaze ; une mauvaise armoire à glace ouverte et déserte, sur les tablettes de laquelle se voyaient des reconnaissances du Mont-de-Piété : tel était l’ensemble de choses lugubres et joyeuses, misérables et riches, qui frappait le regard. Ces vestiges de luxe dans ces tessons, ce ménage si bien approprié à la vie bohémienne de cette fille abattue dans ses linges défaits comme un cheval mort dans son harnais, sous son brancard cassé, empêtré dans ses guides, ce spectacle étrange faisait-il penser le prêtre ? Se disait-il qu’au moins cette créature égarée devait être désintéressée pour accoupler une telle pauvreté avec l’amour d’un jeune homme riche ? Attribuait-il le désordre du mobilier au désordre de la vie ? Éprouvait-il de la pitié, de l’effroi ? Sa charité s’émouvait-elle ? Qui l’eût vu, les bras croisés, le front soucieux, les lèvres crispées, l’œil âpre, l’aurait cru préoccupé de sentiments sombres, haineux, de réflexions qui se contrariaient, de projets sinistres. Il était, certes, insensible aux jolies rondeurs d’un sein presque écrasé sous le poids du buste fléchi et aux formes délicieuses de la Vénus accroupie qui paraissaient sous le noir de la jupe, tant la mourante était rigoureusement ramassée sous elle-même ; l’abandon de cette tête, qui, vue par derrière, offrait au regard la nuque blanche, molle et flexible, les belles épaules d’une nature hardiment développée, ne l’émouvait point ; il ne relevait pas Esther, il ne semblait pas entendre les aspirations déchirantes par lesquelles se trahissait le retour à la vie : il fallut un sanglot horrible et le regard effrayant que lui lança cette fille pour qu’il daignât la relever et la porter sur le lit avec une facilité qui révélait une force prodigieuse.

— Lucien ! dit-elle en murmurant.

— L’amour revient, la femme n’est pas loin, dit le prêtre avec une sorte d’amertume.

La victime des dépravations parisiennes aperçut alors le Costume de son libérateur, et dit, avec le sourire de l’enfant quand il met la main sur une chose enviée : — Je ne mourrai donc pas sans m’être réconciliée avec le ciel !

— Vous pourrez expier vos fautes, dit le prêtre en lui mouillant le front avec de l’eau et lui faisant respirer une burette de vinaigre qu’il trouva dans un coin.

— Je sens que la vie, au lieu de m’abandonner, afflue en moi,