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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/518

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pareil cas, apprendre à Carlos la conférence qu’elle venait d’avoir avec le baron, et tout le parti qu’elle en avait tiré. La colère de cet homme fut comme lui, terrible ; il vint aussitôt en voiture, les stores baissés, chez Esther, en faisant entrer la voiture sous la porte. Encore presque blanc quand il monta, ce double faussaire se présenta devant la pauvre fille ; elle le regarda, elle se trouvait debout, elle tomba sur un fauteuil, les jambes comme cassées.

— Qu’avez-vous, monsieur ? lui dit-elle en tressaillant de tous ses membres.

— Laisse-nous, Europe, dit-il à la femme de chambre.

Esther regarda cette fille comme un enfant aurait regardé sa mère, de qui quelque assassin le séparerait avant de le tuer.

— Savez-vous où vous enverrez Lucien ? reprit-il quand il se trouvèrent seuls.

— Où ?… demanda-t-elle d’une voix faible en se hasardant à regarder cet homme.

— Là d’où je viens, mon bijou.

Esther vit tout rouge en regardant l’homme.

— Aux galères, ajouta-t-il à voix basse.

Esther ferma les yeux, ses jambes s’allongèrent, ses bras pendirent, elle devint blanche. L’homme sonna, Prudence vint.

— Fais-lui reprendre connaissance, dit-il froidement, je n’ai pas fini.

Il se promena dans le salon en attendant. Prudence-Europe fut obligée de venir prier Monsieur de porter Esther sur son lit ; il la prit avec une facilité qui prouvait sa force athlétique. Il fallut aller chercher ce que la Pharmacie a de plus violent pour rendre Esther au sentiment de ses maux. Une heure après, la pauvre fille était en état d’écouter ce cauchemar vivant, assis au pied du lit, le regard fixe et éblouissant comme deux jets de plomb fondu.

— Mon petit cœur, reprit-il, Lucien se trouve entre une vie splendide, honorée, heureuse, digne, et le trou plein d’eau, de vase et de cailloux où il allait se jeter quand je l’ai rencontré. La maison de Grandlieu lui demande une terre d’un million avant de lui obtenir le titre de marquis et de lui tendre cette grande perche, appelée Clotilde. Grâce à nous deux, Lucien vient d’acquérir le manoir maternel, le vieux château de Rubempré qui n’a pas coûté grand’chose, trente mille francs ; mais son avoué, par d’heureuses négociations, a fini par y joindre pour un million de propriétés,