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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/532

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notre langage ; il savait si purement l’anglais, il connaissait si complètement les affaires de ce pays, où par trois fois, la police de Paris l’avait envoyé, en 1779 et 1786, qu’il soutint son rôle d’Anglais chez des ambassadeurs et à Londres, sans éveiller de soupçons. Peyrade, qui tenait beaucoup de Musson, le fameux mystificateur, savait se déguiser avec tant d’art que Contenson, un jour, ne le reconnut pas. Accompagné de Contenson déguisé en mulâtre, Peyrade examinait, de cet œil qui semble inattentif, mais qui voit tout, Esther et ses gens. Il se trouva donc naturellement dans la contre-allée où les gens à équipage se promènent quand il fait sec et beau, le jour où Esther y rencontra madame du Val-Noble. Peyrade, suivi de son mulâtre en livrée, marcha sans affectation, et en vrai nabab qui ne pense qu’à lui-même, sur la ligne des deux femmes, de manière à saisir à la volée quelques mots de leur conversation.

— Eh ! bien, ma chère enfant, disait Esther à madame du Val-Noble, venez me voir. Nucingen se doit à lui-même de ne pas laisser sans un liard la maîtresse de son Agent de change…

— D’autant plus qu’on dit qu’il l’a ruiné, dit Théodore Gaillard, et que nous pourrions bien le faire chanter…

— Il dîne chez moi demain, viens, ma bonne, dit Esther. Puis elle lui dit à l’oreille : — J’en fais ce que je veux, il n’a pas encore ça ! Elle mit un de ses ongles tout ganté sous la plus jolie de ses dents, et fit ce geste assez connu dont la signification énergique veut dire : rien du tout !

— Tu le tiens…

— Ma chère, il n’a encore que payé mes dettes…

— Est-il petite-poche ! s’écria Suzanne du Val-Noble.

— Oh ! reprit Esther, j’en avais à faire reculer un ministre des finances. Maintenant, je veux trente mille francs de rente, avant la lettre !… Oh ! il est charmant, je n’ai pas à me plaindre… Il va… Dans huit jours, nous pendons la crémaillère, tu en seras… Le matin, il doit m’offrir le contrat de la maison de la rue Saint-Georges. Décemment, on ne peut pas habiter une pareille maison sans trente mille francs de rente à soi… pour les retrouver en cas de malheur. J’ai connu la misère, et je n’en veux plus. Il y a de certaines connaissances dont on a trop tout de suite.

— Toi qui disais : « La fortune, c’est moi ! » comme tu as changé ! s’écria Suzanne.