Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/539

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vous soit l’objet d’une surveillance, et que vous preniez à tâche de la justifier. Votre déguisement n’est pas du goût de monsieur le préfet. Si vous croyez échapper ainsi à notre vigilance, vous êtes dans l’erreur. Vous avez sans doute pris la route d’Angleterre à Beaumont-sur-Oise ?…

— À Beaumont-sur-Oise, répondit Peyrade.

— Ou à Saint-Denis ? reprit l’abbé.

Peyrade se troubla. Cette nouvelle demande exigeait une réponse. Or toute réponse était dangereuse. Une affirmation devenait une moquerie ; une négation, si l’homme savait la vérité, perdait Peyrade. — Il est fin, pensa-t-il. Il essaya de regarder l’officier de paix en souriant, et lui donna son sourire pour une réponse. Le sourire fut accepté sans protêt.

— Dans quel but vous êtes-vous déguisé, avez-vous pris un appartement à l’hôtel Mirabeau, et mis Contenson en mulâtre ? demanda le faux magistrat.

— Monsieur le préfet fera de moi ce qu’il voudra, je ne dois de compte de mes actions qu’à mes chefs, dit Peyrade avec dignité.

— Si vous voulez me donner à entendre que vous agissez pour le compte de la Police Générale du Royaume, dit sèchement Carlos, nous allons changer de direction, et aller rue de Grenelle au lieu d’aller rue de Jérusalem. J’ai les ordres les plus positifs à votre égard. Mais prenez bien garde ? on ne vous en veut pas énormément, et, en un moment, vous brouilleriez vos cartes. Quant à moi, je ne vous veux pas de mal… Mais, marchons !… Dites-moi la vérité…

— La vérité ? la voici, dit Peyrade en jetant un regard fin sur les yeux rouges de son cerbère.

La figure de Carlos resta muette, impassible, l’officier de paix faisait son métier, toute vérité lui paraissait indifférente, il avait l’air de taxer le Préfet de quelque caprice. Les Préfets ont des lubies.

— Je suis devenu amoureux comme un fou d’une femme, la maîtresse de cet Agent de change qui voyage pour son plaisir et pour le déplaisir de ses créanciers, Falleix.

— Madame du Val-Noble, dit l’officier.

— Oui, reprit Peyrade. Pour pouvoir l’entretenir pendant un mois, ce qui ne me coûtera guère plus de mille écus, je me suis mis en nabab et j’ai pris Contenson pour domestique. Cela, mon-