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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/565

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— Où suis-je ?… dit-il en regardant autour de lui.

— Écoutez-moi, ça vous dégrisera, répondit Asie. Si vous n’aimez pas madame de Val-Noble, vous aimez votre fille, n’est-ce pas ?

— Ma fille ? s’écria Peyrade en rugissant.

— Oui, mademoiselle Lydie…

— Eh ! bien.

— Eh ! bien, elle n’est plus rue des Moineaux, elle est enlevée.

Peyrade laissa échapper un soupir semblable à celui des soldats qui meurent d’une vive blessure sur le champ de bataille.

— Pendant que vous contrefaisiez l’Anglais, on contrefaisait Peyrade. Votre petite Lydie a cru suivre son père, elle est en lieu sûr… oh ! vous ne la trouverez jamais ! à moins que vous ne répariez le mal que vous avez fait.

— Quel mal ?

— On a refusé hier, chez le duc de Grandlieu, la porte à monsieur Lucien de Rubempré. Ce résultat est dû à tes intrigues et à l’homme que tu nous as détaché. Pas un mot. Écoute ! dit Asie en voyant Peyrade ouvrant la bouche. — Tu n’auras ta fille, pure et sans tache, reprit Asie en appuyant sur les idées par l’accent qu’elle mit à chaque mot, que le lendemain du jour où monsieur Lucien de Rubempré sortira de Saint-Thomas-d’Aquin, marié à mademoiselle Clotilde. Si dans dix jours Lucien de Rubempré n’est pas reçu, comme par le passé, dans la maison de Grandlieu, tu mourras d’abord de mort violente, sans que rien puisse te préserver du coup qui te menace… Puis, quand tu te sentiras atteint, on te laissera le temps avant de mourir, de songer à cette pensée : Ma fille est une prostituée pour le reste de ses jours !… Quoique tu aies été assez bête pour laisser cette prise à nos griffes, il te reste encore assez d’esprit pour méditer sur cette communication de notre gouvernement. N’aboye pas, ne dis pas un mot, va changer de costume chez Contenson, retourne chez toi, et Katt te dira que, sur un mot de toi, ta petite Lydie est descendue et n’a plus été revue. Si tu te plains, si tu fais une démarche, on commencera par où je t’ai dit qu’on finirait avec ta fille. Avec le père Canquoëlle, il ne faut pas faire de phrases, ni prendre de mitaines, n’est-ce pas ?… Descends et songe bien à ne plus tripoter nos affaires.

Asie laissa Peyrade dans un état à faire pitié, chaque mot fut un coup de massue. L’espion avait deux larmes dans les yeux et deux