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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/581

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sion du jardinage, trouva les chiffres de son ami Peyrade. Au lieu de se reposer, il remonta dans le fiacre qui l’avait amené, se fit conduire rue des Moineaux et n’y trouva que Katt. Il apprit de la Flamande la disparition de Lydie et demeura surpris du défaut de prévoyance que Peyrade et lui avaient eu.

Ils ne me connaissent pas encore, se dit-il. Ces gens-là sont capables de tout, il faut savoir s’ils tueront Peyrade, car alors je ne me montrerai plus…

Plus sa vie est infâme, plus l’homme y tient ; elle est alors une protestation, une vengeance de tous les instants. Corentin descendit, s’en alla chez lui se déguiser en petit vieillard souffreteux, à petite redingote verdâtre, à petite perruque en chiendent, et revint à pied, ramené par son amitié pour Peyrade. Il voulait donner des ordres à ses Numéros les plus dévoués et les plus habiles. En longeant la rue Saint-Honoré pour venir de la place Vendôme à la rue Saint-Roch, il marcha derrière une fille en pantoufles, et habillée comme l’est une femme pour la nuit. Cette fille, qui portait une camisole blanche, et sur la tête un bonnet de nuit, laissait échapper de temps en temps des sanglots mêlés à des plaintes involontaires ; Corentin la devança de quelques pas et reconnut Lydie.

— Je suis l’ami de votre père, monsieur Canquoëlle, dit-il de sa voix naturelle.

— Ah ! voici donc quelqu’un à qui je puis me fier !… dit-elle.

— N’ayez pas l’air de me connaître, reprit Corentin, car nous sommes poursuivis par de cruels ennemis, et forcés de nous déguiser. Mais racontez-moi ce qui vous est arrivé…

— Oh ! monsieur, dit la pauvre fille, cela se dit et ne se raconte pas… Je suis déshonorée, perdue, sans pouvoir m’expliquer comment !…

— D’où venez-vous ?…

— Je ne sais pas, monsieur ! je me suis sauvée avec tant de précipitation, j’ai fait tant de rues, tant de détours, en me croyant suivie… Et quand je rencontrais quelqu’un d’honnête, je demandais le chemin pour aller sur les boulevards, afin de gagner la rue de la Paix ! Enfin, après avoir marché pendant… Quelle heure est-il ?

— Onze heures et demie ! dit Corentin.

— Je me suis sauvée à la tombée de la nuit, voici donc cinq heures que je marche !… s’écria Lydie.