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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/283

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En ce moment minuit sonna. La lune se leva et donna au brouillard l’apparence d’une fumée blanche. Pille-miche serra violemment le bras de Marche-à-terre et lui montra silencieusement, à dix pieds au-dessus d’eux, le fer triangulaire de quelques baïonnettes luisantes.

— Les Bleus y sont déjà, dit Pille-miche, nous n’aurons rien de force.

— Patience, répondit Marche-à-terre, si j’ai bien tout examiné ce matin, nous devons trouver au bas de la tour du Papegaut, entre les remparts et la Promenade, une petite place où l’on met toujours du fumier, et l’on peut se laisser tomber là-dessus comme sur un lit.

— Si saint Labre, dit Pille-miche, voulait changer en bon cidre le sang qui va couler, les Fougerais en trouveraient demain une bien bonne provision.

Marche-à-terre couvrit de sa large main la bouche de son ami ; puis, un avis sourdement donné par lui courut de rang en rang jusqu’au dernier des Chouans suspendus dans les airs sur les bruyères des schistes. En effet, Corentin avait une oreille trop exercée pour n’avoir pas entendu le froissement de quelques arbustes tourmentés par les Chouans, ou le bruit léger des cailloux qui roulèrent au bas du précipice, et il était au bord de l’esplanade. Marche-à-terre, qui semblait posséder le don de voir dans l’obscurité, ou dont les sens continuellement en mouvement devaient avoir acquis la finesse de ceux des Sauvages, avait entrevu Corentin ; comme un chien bien dressé, peut-être l’avait-il senti. Le diplomate de la police eut beau écouter le silence et regarder le mur naturel formé par les schistes, il n’y put rien découvrir. Si la lueur douteuse du brouillard lui permit d’apercevoir quelques Chouans, il les prit pour des fragments du rocher, tant ces corps humains gardèrent bien l’apparence d’une nature inerte. Le danger de la troupe dura peu. Corentin fut attiré par un bruit très distinct qui se fit entendre à l’autre extrémité de la Promenade, au point où cessait le mur de soutènement et où commençait la pente rapide du rocher. Un sentier tracé sur le bord des schistes et qui communiquait à l’escalier de la Reine aboutissait précisément à ce point d’intersection. Au moment où Corentin y arriva, il vit une figure s’élevant comme par enchantement, et quand il avança la main pour s’emparer de cet être fantastique ou réel auquel il ne