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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/38

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— Le Gars est sans doute ce jeune ci-devant à cravate noire ? Il a été envoyé par le tyran et ses alliés Pitt et Cobourg.

À ces mots, le Chouan, qui n’en savait pas si long, releva fièrement la tête : — Envoyé par Dieu et le Roi ! Il prononça ces paroles avec une énergie qui épuisa ses forces. Le commandant vit qu’il était difficile de questionner un homme mourant dont toute la contenance trahissait un fanatisme obscur, et détourna la tête en fronçant le sourcil. Deux soldats, amis de ceux que Marche-à-terre avait si brutalement dépêchés d’un coup de fouet sur l’accotement de la route, car ils y étaient morts, se reculèrent de quelques pas, ajustèrent le Chouan, dont les yeux fixes ne se baissèrent pas devant les canons dirigés sur lui, le tirèrent à bout portant, et il tomba. Lorsque les soldats s’approchèrent pour dépouiller le mort, il cria fortement encore : — Vive le Roi !

— Oui, oui, sournois, dit La-clef-des-cœurs, va-t’en manger de la galette chez ta bonne Vierge. Ne vient-il pas nous crier au nez vive le tyran, quand on le croit frit !

— Tenez, mon commandant, dit Beau-pied, voici les papiers du brigand.

— Oh ! oh ! s’écria La-clef-des-cœurs, venez donc voir ce fantassin du bon Dieu qui a des couleurs sur l’estomac ?

Hulot et quelques soldats vinrent entourer le corps entièrement nu du Chouan, et ils aperçurent sur sa poitrine une espèce de tatouage de couleur bleuâtre qui représentait un cœur enflammé. C’était le signe de ralliement des initiés de la confrérie du Sacré-Cœur. Au-dessous de cette image Hulot put lire : Marie Lambrequin, sans doute le nom du Chouan.

— Tu vois bien, La-clef-des-cœurs ! dit Beau-pied. Eh ! bien, tu resterais cent décades sans deviner à quoi sert ce fourniment-là.

— Est-ce que je me connais aux uniformes du pape ! répliqua La-clef-des-cœurs.

— Méchant pousse-caillou, tu ne t’instruiras donc jamais ! reprit Beau-pied. Comment ne vois-tu pas qu’on a promis à ce coco-là qu’il ressusciterait, et qu’il s’est peint le gésier pour se reconnaître.

À cette saillie, qui n’était pas sans fondement, Hulot lui-même ne put s’empêcher de partager l’hilarité générale. En ce moment Merle avait achevé de faire ensevelir les morts, et les blessés avaient été, tant bien que mal, arrangés dans deux charrettes par leurs camarades. Les