Aller au contenu

Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/173

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

des moutons qu’ils sont des lions, et qu’ils ont un caractère de fer.

— Maintenant, écoute-moi bien : Monsieur Marneffe n’a pas cinq ans à vivre, il est gangrené jusque dans la moelle de ses os ; sur douze mois de l’année, il en passe sept à boire des drogues, des tisanes, il vit dans la flanelle ; enfin, il est, dit le médecin, sous le coup de la faulx à tout moment ; la maladie la plus innocente pour un homme sain, sera mortelle pour lui, le sang est corrompu, la vie est attaquée dans son principe. Depuis cinq ans, je n’ai pas voulu qu’il m’embrassât une seule fois, car, cet homme, c’est la peste ! Un jour, et ce jour n’est pas éloigné, je serai veuve, eh bien ! moi, déjà demandée par un homme qui possède soixante mille francs de rente, moi qui suis maîtresse de cet homme comme de ce morceau de sucre, je te déclare que tu serais pauvre comme Hulot, lépreux comme Marneffe, et que si tu me battais, c’est toi que je veux pour mari, toi seul que j’aime, de qui je veuille porter le nom. Et je suis prête à te donner tous les gages d’amour que tu voudras…

— Eh bien ! ce soir…

— Mais, enfant de Rio, mon beau jaguar sorti pour moi des forêts vierges du Brésil, dit-elle en lui prenant la main et la baisant et le caressant, respecte donc un peu la créature de qui tu veux faire ta femme… Serai-je ta femme, Henri ?…

— Oui, dit le Brésilien vaincu par le bavardage effréné de la passion.

Et il se mit à genoux.

— Voyons, Henri, dit Valérie en lui prenant les deux mains et le regardant au fond des yeux avec fixité, tu me jures ici, en présence de Lisbeth, ma meilleure et ma seule amie, ma sœur, de me prendre pour femme au bout de mon année de veuvage ?…

— Je le jure.

— Ce n’est pas assez ! jure par les cendres et le salut éternel de ta mère, jure-le par la vierge Marie et par tes espérances de catholique !

Valérie savait que le Brésilien tiendrait ce serment, quand même elle serait tombée au fond du plus sale bourbier social. Le Brésilien fit ce serment solennel, le nez presque touchant à la blanche poitrine de Valérie et les yeux fascinés ; il était ivre, comme on est ivre en revoyant une femme aimée, après une traversée de cent vingt jours !

— Eh bien ! maintenant, sois tranquille. Respecte bien dans