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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/100

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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

avoir plus de quarante-six ans. Vous eussiez dit un bel Espagnol conservé dans les glaces de la Russie. Les manières, la démarche, la pose, tout annonçait un diplomate qui avait vu l’Europe. La mise était celle d’un homme comme il faut en voyage. Monsieur de Troisville paraissait fatigué, l’abbé lui offrit de passer dans la chambre qui lui était destinée, et fut ébahi quand sa nièce ouvrit le boudoir transformé en chambre à coucher. Mademoiselle Cormon et son oncle laissèrent alors le noble étranger vaquer à ses affaires avec l’aide de Jaquelin, qui lui apporta tous les paquets dont il avait besoin. L’abbé de Sponde et sa nièce allèrent se promener le long de la Brillante, en attendant que monsieur de Troisville eût fini sa toilette. Quoique l’abbé de Sponde fût, par un singulier hasard, plus distrait qu’à l’ordinaire, mademoiselle Cormon ne fut pas moins préoccupée que lui. Tous deux ils marchèrent en silence. La vieille fille n’avait jamais rencontré d’homme aussi séduisant que l’était l’olympien vicomte. Elle ne pouvait se dire à l’allemande : — Voilà mon idéal ! mais elle se sentait prise de la tête aux pieds, et se disait : — Voilà mon affaire ! Tout à coup elle vola chez Mariette pour savoir si le dîner pouvait subir un retard sans rien perdre de sa bonté.

— Mon oncle, ce monsieur de Troisville est bien aimable, dit-elle en revenant.

— Mais, ma fille, il n’a encore rien dit, fit en riant l’abbé.

— Mais cela se voit dans la tournure, sur la physionomie. Est-il garçon ?

— Je n’en sais rien, répondit l’abbé qui pensait à une discussion sur la grâce émue entre l’abbé Couturier et lui. Monsieur de Troisville m’a écrit qu’il désirait acquérir une maison ici. — S’il était marié il ne serait pas venu seul, reprit-il d’un air insouciant ; car il n’admettait pas que sa nièce pût penser à se marier.

— Est-il riche ?

— Il est le cadet d’une branche cadette, répondit l’oncle. Son grand-père a commandé des escadres ; mais le père de ce jeune homme a fait un mauvais mariage.

— Ce jeune homme ! répéta la vieille fille. Mais il me semble, mon oncle, qu’il a bien quarante-cinq ans, dit-elle ; car elle éprouvait un excessif désir de mettre leurs âges en rapport.

— Oui, dit l’abbé. Mais à un pauvre prêtre de soixante-dix ans, Rose, un quadragénaire paraît jeune.