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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/102

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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Le vicomte complimenta mademoiselle Cormon sur le service, sur la tenue de la maison, en avouant qu’il croyait la province arriérée, et qu’il la trouvait très-comfortable.

— Qu’est-ce que c’est que ce mot-là, bon Dieu ? pensa-t-elle. Où est le chevalier de Valois pour y répondre ? Comfortable ? Y a-t-il plusieurs mots là-dedans ? Allons, du courage, se dit-elle, c’est peut-être un mot russe, je ne suis pas obligée d’y répondre. — Mais, reprit-elle à haute voix en se sentant la langue déliée par l’éloquence que trouvent presque toutes les créatures humaines dans les circonstances capitales, monsieur, nous avons ici la plus brillante société. La ville se réunit précisément chez moi. Vous pourrez en juger tout à l’heure, car quelques-uns de nos fidèles auront sans doute appris mon retour, et viendront me voir. Nous avons le chevalier de Valois, un seigneur de l’ancienne cour, homme d’infiniment d’esprit, de goût, puis monsieur le marquis de Gordes et mademoiselle Armande sa sœur (elle se mordit la langue et se ravisa) : une fille remarquable dans son genre, ajouta-t-elle. Elle a voulu rester fille pour laisser toute sa fortune à son frère et à son neveu.

— Ah ! fit le vicomte, oui, les Gordes, je me les rappelle.

— Alençon est très-gai, reprit la vieille fille une fois lancée. On s’y amuse beaucoup, le Receveur-Général donne des bals, le préfet est un homme aimable, monseigneur l’Évêque nous honore quelquefois de sa visite…

— Allons, reprit en souriant le vicomte, j’ai donc bien fait de vouloir revenir, comme le lièvre, mourir au gîte.

— Moi aussi, dit la vieille fille, je suis comme le lièvre, je meurs où je m’attache.

Le vicomte prit le proverbe ainsi rendu pour une plaisanterie, et sourit.

— Ah ! se dit la vieille fille, tout va bien, il me comprend, celui-là !

La conversation se soutint sur des généralités. Par une de ces mystérieuses puissances inconnues, indéfinissables, mademoiselle Cormon retrouvait dans sa cervelle, sous la pression de son désir d’être aimable, toutes les tournures de phrases du chevalier de Valois. C’était comme dans un duel où le diable semble ajuster lui-même le canon du pistolet. Jamais adversaire ne fut mieux couché en joue. Monsieur de Troisville était beaucoup trop