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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/193

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LES RIVALITÉS: LE CABINET DES ANTIQUES.

— Un ange, dit d’Esgrignon en levant les yeux au ciel.

— Voilà le compte de ses ailes, s’écria bouffonnement Rastignac.

— Elle doit tout cela, mon cher, répondit de Marsay, précisément parce qu’elle est un ange ; mais nous avons tous rencontré des anges dans ces situations-là, dit-il en regardant Rastignac. Les femmes sont sublimes en ceci qu’elles n’entendent rien à l’argent, elles ne s’en mêlent pas, cela ne les regarde point ; elles sont priées au banquet de la vie, selon le mot de je ne sais quel poète crevé à l’hôpital.

— Comment savez-vous cela, tandis que je ne le sais pas ? répondit naïvement d’Esgrignon.

— Tu seras le dernier à le savoir, comme elle sera la dernière à apprendre que tu as des dettes.

— Je lui croyais cent mille livres de rente, dit d’Esgrignon.

— Son mari, reprit de Marsay, est séparé d’elle et vit à son régiment où il fait des économies, car il a quelques petites dettes aussi, notre cher duc ! D’où venez-vous ? Apprenez donc à faire, comme nous, les comptes de vos amis. Mademoiselle Diane (je l’ai aimée pour son nom !), Diane d’Uxelles s’est mariée avec soixante mille livres de rente à elle, sa maison est depuis huit ans montée sur un pied de deux cent mille livres de rente ; il est clair qu’en ce moment, ses terres sont toutes hypothéquées au delà de leur valeur ; il faudra quelque beau matin fondre la cloche, et l’ange sera mis en fuite par… faut-il le dire ? par des huissiers qui auront l’impudeur de saisir un ange comme ils empoigneraient l’un de nous.

— Pauvre ange !

— Eh ! mon cher, il en coûte fort cher de rester dans le Paradis parisien, il faut se blanchir le teint et les ailes tous les matins, dit Rastignac.

Comme il était passé par la tête de d’Esgrignon d’avouer ses embarras à sa chère Diane, il lui passa comme un frisson en pensant qu’il devait déjà soixante mille francs et qu’il avait pour dix mille francs de mémoires à venir. Il revint assez triste. Sa préoccupation mal déguisée fut remarquée par ses amis, qui se dirent à dîner : — Ce petit d’Esgrignon s’enfonce ! il n’a pas le pied parisien ; il se brûlera la cervelle. C’est un petit sot, etc.

Le jeune comte fut consolé promptement. Son valet de chambre lui remit deux lettres. D’abord une lettre de Chesnel, qui sentait le rance de la fidélité grondeuse et des phrases rubriquées de pro-