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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/211

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LES RIVALITÉS: LE CABINET DES ANTIQUES.

Deux autres heures succédèrent à ces deux premières heures. Le comte obtint alors la main de Diane, il la trouva froide et sans âme. Cette belle main, pleine de trésors, ressemblait à du bois souple : elle n’exprimait rien ; il l’avait saisie, elle n’était pas donnée. Il ne vivait plus, il ne pensait plus. Il n’aurait pas vu le soleil. Que faire ? que résoudre ? quel parti prendre ? Dans ces sortes d’occasions, pour conserver son sang-froid, un homme doit être constitué comme ce forçat qui, après avoir volé pendant toute la nuit les médailles d’or de la Bibliothèque royale, vient au matin prier son honnête homme de frère de les fondre, s’entend dire : que faut-il faire ? et lui répond : fais-moi du café ! Mais Victurnien tomba dans une stupeur hébétée dont les ténèbres enveloppèrent son esprit. Sur ces brumes grises passaient, semblables à ces figures que Raphaël a mises sur des fonds noirs, les images des voluptés auxquelles il fallait dire adieu. Inexorable et méprisante, la duchesse jouait avec un bout d’écharpe en lançant des regards irrités sur Victurnien, elle coquetait avec ses souvenirs mondains, elle parlait à son amant de ses rivaux comme si cette colère la décidait à remplacer par l’un d’eux un homme capable de démentir en un moment vingt-huit mois d’amour.

— Ah ! disait-elle, ce ne serait pas ce cher charmant petit Félix de Vandenesse, si fidèle à madame de Mortsauf, qui se permettrait une pareille scène : il aime, celui-là ! De Marsay, ce terrible de Marsay, que tout le monde trouve si tigre, est un de ces hommes forts qui rudoient les hommes, mais qui gardent toutes leurs délicatesses pour les femmes. Montriveau a brisé sous son pied la duchesse de Langeais, comme Othello tue Dedesmona, dans un accès de colère qui du moins attesta l’excès de son amour : ce n’était pas mesquin comme une querelle ! il y a du plaisir à être brisée ainsi ! Les hommes blonds, petits, minces et fluets aiment à tourmenter les femmes, ils ne peuvent régner que sur ces pauvres faibles créatures ; ils aiment pour avoir une raison de se croire des hommes. La tyrannie de l’amour est leur seule chance de pouvoir.

Elle ne savait pas pourquoi elle s’était mise sous la domination d’un homme blond. De Marsay, Montriveau, Vandenesse, ces beaux bruns, avaient un rayon de soleil dans les yeux. Ce fut un déluge d’épigrammes qui passèrent en sifflant comme des balles. Diane lançait trois flèches dans un mot : elle humiliait, elle piquait,