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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/258

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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

madame du Croisier et le prélat, le prêtre alla sur-le-champ chez sa pénitente.

À onze heures du matin, du Croisier reçut un mandat de comparution qui le mandait, entre une heure et deux, dans le cabinet du Juge d’Instruction. Il y vint, en proie à des soupçons légitimes. Le Président, incapable de prévoir l’arrivée de la duchesse de Maufrigneuse, celle du Procureur du Roi, ni la confédération subite des trois juges, avait oublié de tracer à du Croisier un plan de conduite au cas où l’Instruction commencerait. Ni l’un ni l’autre ne crurent à tant de célérité. Du Croisier s’empressa d’obéir au mandat, afin de connaître les dispositions de monsieur Camusot. Il fut donc obligé de répondre. Le juge lui adressa sommairement les six interrogations suivantes : — L’effet argué de faux, ne portait-il pas une signature vraie ? — Avait-il eu, avant cet effet, des affaires avec monsieur le comte d’Esgrignon ? — Monsieur le comte d’Esgrignon n’avait-il pas tiré sur lui des lettres de change avec ou sans avis ? — N’avait-il pas écrit une lettre par laquelle il autorisait monsieur d’Esgrignon à toujours faire fond sur lui ? — Chesnel n’avait-il pas plusieurs fois déjà soldé ses comptes ? — N’avait-il pas été absent à telle époque ?

Ces questions furent résolues affirmativement par du Croisier.

Malgré des explications verbeuses, le juge ramenait toujours le banquier à l’alternative d’un oui ou d’un non. Quand les demandes et les réponses furent consignées au procès-verbal, le juge termina par cette foudroyante interrogation : — Du Croisier savait-il que l’argent de l’effet argué de faux était déposé chez lui, suivant une déclaration de Chesnel et une lettre d’avis dudit Chesnel au comte d’Esgrignon, cinq jours avant la date de l’effet ?

Cette dernière question épouvanta du Croisier. Il demanda ce que signifiait un pareil interrogatoire. S’il était, lui, le coupable, et monsieur le comte d’Esgrignon le plaignant ? Il fit observer que si les fonds étaient chez lui, il n’eût pas rendu de plainte.

— La Justice s’éclaire, dit le juge en le renvoyant non sans avoir constaté cette dernière observation de du Croisier.

— Mais, monsieur, les fonds…

— Les fonds sont chez vous, dit le juge.

Chesnel, également cité, comparut pour expliquer l’affaire. La véracité de ses assertions fut corroborée par la déposition de madame du Croisier. Le juge avait déjà interrogé le comte d’Esgri-