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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/318

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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

siennes. La comtesse et moi, nous nous éprouvâmes ainsi par la douleur. Combien de découvertes n’ai-je pas faites durant ces quarante premiers jours pleins d’amertumes réelles, de joies tacites, d’espérances tantôt abîmées, tantôt surnageant ! Un soir je la trouvai religieusement pensive devant un coucher de soleil qui rougissait si voluptueusement les cimes en laissant voir la vallée comme un lit, qu’il était impossible de ne pas écouter la voix de cet éternel Cantique des Cantiques par lequel la nature convie ses créatures à l’amour. La jeune fille reprenait-elle des illusions envolées ? la femme souffrait-elle de quelque comparaison secrète ? Je crus voir dans sa pose un abandon profitable aux premiers aveux, et lui dis : — Il est des journées difficiles !

— Vous avez lu dans mon âme, me dit-elle, mais comment ?

— Nous nous touchons par tant de points ! répondis-je. N’appartenons-nous pas au petit nombre de créatures privilégiées pour la douleur et pour le plaisir, de qui les qualités sensibles vibrent toutes à l’unisson en produisant de grands retentissements intérieurs, et dont la nature nerveuse est en harmonie constante avec le principe des choses ! Mettez-les dans un milieu où tout est dissonance, ces personnes souffrent horriblement, comme aussi leur plaisir va jusqu’à l’exaltation quand elles rencontrent les idées, les sensations ou les êtres qui leur sont sympathiques. Mais il est pour nous un troisième état dont les malheurs ne sont connus que des âmes affectées par la même maladie, et chez lesquelles se rencontrent de fraternelles compréhensions. Il peut nous arriver de n’être impressionnés ni en bien ni en mal. Un orgue expressif doué de mouvement s’exerce alors en nous dans le vide, se passionne sans objet, rend des sons sans produire de mélodie, jette des accents qui se perdent dans le silence ! espèce de contradiction terrible d’une âme qui se révolte contre l’inutilité du néant. Jeux accablants dans lesquels notre puissance s’échappe tout entière sans aliment, comme le sang par une blessure inconnue. La sensibilité coule à torrents, il en résulte d’horribles affaiblissements, d’indicibles mélancolies pour lesquelles le confessionnal n’a pas d’oreilles. N’ai-je pas exprimé nos communes douleurs ?

Elle tressaillit, et, sans cesser de regarder le couchant, elle me répondit : — Comment si jeune savez-vous ces choses ? Avez-vous donc été femme ?