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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/368

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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

À ce mot, la comtesse s’écria : — Monsieur !

— Qu’est-ce que c’est, dit-il, que votre monsieur impérieux ? ne suis-je pas le maître ? faut-il enfin vous l’apprendre ?

Il s’avança sur elle en lui présentant sa tête de loup blanc devenue hideuse, car ses yeux jaunes eurent une expression qui le fit ressembler à une bête affamée sortant d’un bois. Henriette se coula de son fauteuil à terre pour recevoir le coup qui n’arriva pas ; elle s’était étendue sur le parquet en perdant connaissance, toute brisée. Le comte fut comme un meurtrier qui sent rejaillir à son visage le sang de sa victime, il resta tout hébété. Je pris la pauvre femme dans mes bras, le comte me la laissa prendre comme s’il se fût trouvé indigne de la porter ; mais il alla devant moi pour m’ouvrir la porte de la chambre contiguë au salon, chambre sacrée où je n’étais jamais entré. Je mis la comtesse debout, et la tins un moment dans un bras, en passant l’autre autour de sa taille, pendant que monsieur de Mortsauf ôtait la fausse couverture, l’édredon, l’appareil du lit ; puis, nous la soulevâmes et l’étendîmes tout habillée. En revenant à elle, Henriette nous pria par un geste de détacher sa ceinture ; monsieur de Mortsauf trouva des ciseaux et coupa tout, je lui fis respirer des sels, elle ouvrit les yeux. Le comte s’en alla, plus honteux que chagrin. Deux heures se passèrent en un silence profond. Henriette avait sa main dans la mienne et me la pressait sans pouvoir parler. De temps en temps elle levait les yeux pour me dire par un regard qu’elle voulait demeurer calme et sans bruit ; puis il y eut un moment de trêve où elle se releva sur son coude, et me dit à l’oreille : — Le malheureux ! si vous saviez…

Elle se remit la tête sur l’oreiller. Le souvenir de ses peines passées joint à ses douleurs actuelles lui rendit des convulsions nerveuses que je n’avais calmées que par le magnétisme de l’amour ; effet qui m’était encore inconnu, mais dont j’usai par instinct. Je la maintins avec une force tendrement adoucie ; et pendant cette dernière crise, elle me jeta des regards qui me firent pleurer. Quand ces mouvements nerveux cessèrent, je rétablis ses cheveux en désordre, que je maniai pour la seule et unique fois de ma vie ; puis je repris encore sa main et contemplai long-temps cette chambre à la fois brune et grise, ce lit simple à rideaux de perse, cette table couverte d’une toilette parée à la mode ancienne, ce canapé mesquin à matelas piqué. Que de poésie dans ce