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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/376

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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Elle me fit pleurer. Elle était à la fois douce et terrible ; son sentiment se mettait trop audacieusement à découvert, il était trop pur pour permettre le moindre espoir au jeune homme altéré de plaisir. En retour de ma chair laissée en lambeaux dans son cœur, elle me versait les lueurs incessantes et incorruptibles de ce divin amour qui ne satisfaisait que l’âme. Elle montait à des hauteurs où les ailes diaprées de l’amour qui me fit dévorer ses épaules ne pouvaient me porter ; pour arriver près d’elle, un homme devait avoir conquis les ailes blanches du séraphin.

— En toutes choses, lui dis-je, je penserai : Que dirait mon Henriette ?

— Bien, je veux être l’étoile et le sanctuaire, dit-elle en faisant allusion aux rêves de mon enfance et cherchant à m’en offrir la réalisation pour tromper mes désirs.

— Vous serez ma religion et ma lumière, vous serez tout, m’écriai-je.

— Non, répondit-elle, je ne puis être la source de vos plaisirs.

Elle soupira, et me jeta le sourire des peines secrètes, ce sourire de l’esclave un moment révolté. Dès ce jour, elle fut non pas la bien-aimée, mais la plus aimée ; elle ne fut pas dans mon cœur comme une femme qui veut une place, qui s’y grave par le dévouement ou par l’excès du plaisir ; non, elle eut tout le cœur, et fut quelque chose de nécessaire au jeu des muscles ; elle devint ce qu’était la Béatrix du poète florentin, la Laure sans tache du poète vénitien, la mère des grandes pensées, la cause inconnue des résolutions qui sauvent, le soutien de l’avenir, la lumière qui brille dans l’obscurité comme le lys dans les feuillages sombres. Oui, elle dicta ces hautes déterminations qui coupent la part au feu, qui restituent la chose en péril ; elle m’a donné cette constance à la Coligny pour vaincre les vainqueurs, pour renaître de la défaite, pour lasser les plus forts lutteurs.

Le lendemain, après avoir déjeuné à Frapesle et fait mes adieux à mes hôtes si complaisants à l’égoïsme de mon amour, je me rendis à Clochegourde. Monsieur et madame de Mortsauf avaient projeté de me reconduire à Tours, d’où je devais partir dans la nuit pour Paris. Pendant ce chemin la comtesse fut affectueusement muette, elle prétendit d’abord avoir la migraine ; puis elle rougit de ce mensonge et le pallia soudain en disant qu’elle ne me voyait point partir sans regret. Le comte m’invita à venir chez lui, quand