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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/399

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LE LYS DE LA VALLÉE.

regards l’atteignaient trop vivement ; quoiqu’elle eût les yeux baissés, elle savait bien que je ne regardais qu’elle ; elle me dit alors de cet air faussement impatienté, si gracieux, si coquet : — Allons, voyez donc un peu notre chère vallée ? Elle se retourna, mit son ombrelle de soie blanche au-dessus de nos têtes, en collant Jacques sur elle ; et le geste de tête par lequel elle me montra l’Indre, la toue, les prés, prouvait que depuis mon séjour et nos promenades elle s’était entendue avec ces horizons fumeux, avec leurs sinuosités vaporeuses. La nature était le manteau sous lequel s’abritaient ses pensées. Elle savait maintenant ce que soupire le rossignol pendant les nuits, et ce que répète le chantre des marais en psalmodiant sa note plaintive.

À huit heures, le soir, je fus témoin d’une scène qui m’émut profondément et que je n’avais jamais pu voir, car je restais toujours à jouer avec monsieur de Mortsauf, pendant qu’elle se passait dans la salle à manger avant le coucher des enfants. La cloche sonna deux coups, tous les gens de la maison vinrent.

— Vous êtes notre hôte, soumettez-vous à la règle du couvent ? dit-elle en m’entraînant par la main avec cet air d’innocente raillerie qui distingue les femmes vraiment pieuses.

Le comte nous suivit. Maîtres, enfants, domestiques, tous s’agenouillèrent, têtes nues, en se mettant à leurs places habituelles. C’était le tour de Madeleine à dire les prières : la chère petite les prononça de sa voix enfantine dont les tons ingénus se détachèrent avec clarté dans l’harmonieux silence de la campagne et prêtèrent aux phrases la sainte candeur de l’innocence, cette grâce des anges. Ce fut la plus émouvante prière que j’aie entendue. La nature répondait aux paroles de l’enfant par les mille bruissements du soir, accompagnement d’orgue légèrement touché. Madeleine était à droite de la comtesse et Jacques à la gauche. Les touffes gracieuses de ces deux têtes entre lesquelles s’élevait la coiffure nattée de la mère et que dominaient les cheveux entièrement blancs et le crâne jauni de monsieur de Mortsauf, composaient un tableau dont les couleurs répétaient en quelque sorte à l’esprit les idées réveillées par les mélodies de la prière ; enfin, pour satisfaire aux conditions de l’unité qui marque le sublime, cette assemblée recueillie était enveloppée par la lumière adoucie du couchant dont les teintes rouges coloraient la salle, en laissant croire ainsi aux âmes, ou poétiques, ou superstitieuses, que les feux du ciel visitaient ces