Aller au contenu

Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/401

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
375
LE LYS DE LA VALLÉE.

mot de Champcenetz, « il fait des cachots en Espagne, » semblait avoir été dit.

Je passai quelques jours à Clochegourde, n’allant faire que de courtes visites à Frapesle, où je dînai trois fois cependant. L’armée française vint occuper Tours. Quoique je fusse évidemment la vie et la santé de madame de Mortsauf, elle me conjura de gagner Châteauroux, pour revenir en toute hâte à Paris, par Issoudun et Orléans. Je voulus résister, elle commanda disant que le génie familier avait parlé ; j’obéis. Nos adieux furent cette fois trempés de larmes, elle craignait pour moi l’entraînement du monde où j’allais vivre. Ne fallait-il pas entrer sérieusement dans le tournoiement des intérêts, des passions, des plaisirs qui font de Paris une mer aussi dangereuse aux chastes amours qu’à la pureté des consciences. Je lui promis de lui écrire chaque soir les événements et les pensées de la journée, même les plus frivoles. À cette promesse, elle appuya sa tête allanguie sur mon épaule, et me dit : — N’oubliez rien, tout m’intéressera.

Elle me donna des lettres pour le duc et la duchesse chez lesquels j’allai le second jour de mon arrivée.

— Vous avez du bonheur, me dit le duc, dînez ici, venez avec moi ce soir au château, votre fortune est faite. Le roi vous a nommé ce matin, en disant : « Il est jeune, capable et fidèle ! » Et le roi regrettait de ne pas savoir si vous étiez mort ou vivant, en quel lieu vous avaient jeté les événements, après vous être si bien acquitté de votre mission.

Le soir j’étais maître des requêtes au Conseil-d’État, et j’avais auprès du roi Louis XVIII un emploi secret d’une durée égale à celle de son règne, place de confiance, sans faveur éclatante, mais sans chance de disgrâce, qui me mit au cœur du gouvernement et fut la source de mes prospérités. Madame de Mortsauf avait vu juste, je lui devais donc tout : pouvoir et richesse, le bonheur et la science ; elle me guidait et m’encourageait, purifiait mon cœur et donnait à mes vouloirs cette unité sans laquelle les forces de la jeunesse se dépensent inutilement. Plus tard j’eus un collègue. Chacun de nous fut de service pendant six mois. Nous pouvions nous suppléer l’un l’autre au besoin ; nous avions une chambre au château, notre voiture et de larges rétributions pour nos frais quand nous étions obligés de voyager. Singulière situation ! Être les disciples secrets d’un monarque à la politique duquel ses ennemis ont