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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/403

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LE LYS DE LA VALLÉE.

mais une amie dont les sentiments eurent je ne sais quoi de maternel. La vieille princesse prit à cœur de me lier avec sa fille madame d’Espard, avec la duchesse de Langeais, la vicomtesse de Beauséant et la duchesse de Maufrigneuse, des femmes qui tour à tour tinrent le sceptre de la mode et qui furent d’autant plus gracieuses pour moi, que j’étais sans prétention auprès d’elles, et toujours prêt à leur être agréable. Mon frère Charles, loin de me renier, s’appuya dès lors sur moi ; mais ce rapide succès lui inspira une secrète jalousie qui plus tard me causa bien des chagrins. Mon père et ma mère, surpris de cette fortune inespérée, sentirent leur vanité flattée, et m’adoptèrent enfin pour leur fils ; mais comme leur sentiment était en quelque sorte artificiel, pour ne pas dire joué, ce retour eut peu d’influence sur un cœur ulcéré ; d’ailleurs, les affections entachées d’égoïsme excitent peu les sympathies ; le cœur abhorre les calculs et les profits de tout genre.

J’écrivais fidèlement à ma chère Henriette, qui me répondait une ou deux lettres par mois. Son esprit planait ainsi sur moi, ses pensées traversaient les distances et me faisaient une atmosphère pure. Aucune femme ne pouvait me captiver. Le roi sut ma réserve ; sous ce rapport, il était de l’école de Louis XV, et me nommait en riant mademoiselle de Vandenesse, mais la sagesse de ma conduite lui plaisait fort. J’ai la conviction que la patience dont j’avais pris l’habitude pendant mon enfance et surtout à Clochegourde servit beaucoup à me concilier les bonnes grâces du roi, qui fut toujours excellent pour moi. Il eut sans doute la fantaisie de lire mes lettres, car il ne fut pas long-temps la dupe de ma vie de demoiselle. Un jour, le duc était de service, j’écrivais sous la dictée du roi, qui, voyant entrer le duc de Lenoncourt, nous enveloppa d’un regard malicieux.

— Hé ! bien, ce diable de Mortsauf veut donc toujours vivre ? lui dit-il de sa belle voix d’argent à laquelle il savait communiquer à volonté le mordant de l’épigramme.

— Toujours, répondit le duc.

— La comtesse de Mortsauf est un ange que je voudrais cependant bien voir ici, reprit le roi, mais si je ne puis rien, mon chancelier, dit-il en se tournant vers moi, sera plus heureux. Vous avez six mois à vous, je me décide à vous donner pour collègue le jeune homme dont nous parlions hier. Amusez-vous bien à Clochegourde, monsieur Caton ! Et il se fit rouler hors du cabinet en souriant.