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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/406

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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Comme une sœur trop aimée.

— Comme une mère ?

— Comme une mère secrètement désirée.

— Chevaleresquement, sans espoir ?

— Chevaleresquement, mais avec espoir.

— Enfin, comme si vous n’aviez encore que vingt ans, et que vous portiez votre petit méchant habit bleu du bal ?

— Oh ! mieux. Je vous aime ainsi, et je vous aime encore comme… Elle me regarda dans une vive appréhension… comme vous aimait votre tante.

— Je suis heureuse ; vous avez dissipé mes terreurs, dit-elle en revenant vers la famille étonnée de notre conférence secrète ; mais soyez bien enfant ici ! car vous êtes encore un enfant. Si votre politique est d’être homme avec le roi, sachez, monsieur, qu’ici la vôtre est de rester enfant. Enfant, vous serez aimé ! Je résisterai toujours à la force de l’homme ; mais que refuserais-je à l’enfant ? rien ; il ne peut rien vouloir que je ne puisse accorder. — Les secrets sont dits, fit-elle en regardant le comte d’un air malicieux où reparaissait la jeune fille et son caractère primitif. Je vous laisse, je vais m’habiller.

Jamais, depuis trois ans, je n’avais entendu sa voix si pleinement heureuse. Pour la première fois je connus ces jolis cris d’hirondelle, ces notes enfantines dont je vous ai parlé. J’apportais un équipage de chasse à Jacques, à Madeleine une boîte à ouvrage dont sa mère se servit toujours ; enfin je réparai la mesquinerie à laquelle m’avait condamné jadis la parcimonie de ma mère. La joie que témoignaient les deux enfants, enchantés de se montrer l’un à l’autre leurs cadeaux, parut importuner le comte, toujours chagrin quand on ne s’occupait pas de lui. Je fis un signe d’intelligence à Madeleine, et je suivis le comte, qui voulait causer de lui-même avec moi. Il m’emmena vers la terrasse ; mais nous nous arrêtâmes sur le perron à chaque fait grave dont il m’entretenait.

— Mon pauvre Félix, me dit-il, vous les voyez tous heureux et bien portants : moi, je fais ombre au tableau : j’ai pris leurs maux, et je bénis Dieu de me les avoir donnés. Autrefois j’ignorais ce que j’avais ; mais aujourd’hui je le sais : j’ai le pylore attaqué, je ne digère plus rien.

— Par quel hasard êtes-vous devenu savant comme un professeur