Aller au contenu

Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/43

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est persécutée par une brutale indifférence, où pas une femme ne peut ni ne veut se faire sœur de charité auprès d’un homme de science ou d’art. Qui se rendra compte de la passion d’Athanase pour mademoiselle Cormon ? Ce ne sera ni les gens riches, ces sultans de la société qui y trouvent des harems, ni les bourgeois qui suivent la grande route battue par les préjugés, ni les femmes qui, ne voulant rien concevoir aux passions des artistes, leur imposent le talion de leurs vertus, en s’imaginant que les deux sexes se gouvernent par les mêmes lois. Ici, peut-être, faut-il en appeler aux jeunes gens souffrant de leurs premiers désirs réprimés au moment où toutes leurs forces se tendent, aux artistes malades de leur génie étouffé par les étreintes de la misère, aux talents qui d’abord persécutés et sans appuis, sans amis souvent, ont fini par triompher de la double angoisse de l’âme et du corps également endoloris. Ceux-là connaissent bien les lancinantes attaques du cancer qui dévorait Athanase ; ils ont agité ces longues et cruelles délibérations faites en présence de fins si grandioses pour lesquelles il ne se trouve point de moyens ; ils ont subi ces avortements inconnus où le frai du génie encombre une grève aride. Ceux-là savent que la grandeur des désirs est en raison de l’étendue de l’imagination. Plus haut ils s’élancent, plus bas ils tombent ; et, combien ne se brise-t-il pas des liens dans ces chutes ! leur vue perçante a, comme Athanase, découvert le brillant avenir qui les attendait, et dont ils ne se croyaient séparés que par une gaze ; cette gaze qui n’arrêtait pas leurs yeux, la société la changeait en un mur d’airain. Poussés par une vocation, par le sentiment de l’art, ils ont aussi cherché maintes fois à se faire un moyen des sentiments que la société matérialise incessamment. Quoi ! la province calcule et arrange le mariage dans le but de se créer le bien-être, et il serait défendu à un pauvre artiste, à l’homme de science, de lui donner une double destination, de le faire servir à sauver sa pensée en assurant l’existence ? Agité par ces idées, Athanase Granson considéra d’abord son mariage avec mademoiselle Cormon comme une manière d’arrêter sa vie qui serait définie ; il pourrait s’élancer vers la gloire, rendre sa mère heureuse, et il se savait capable de fidèlement aimer mademoiselle Cormon. Bientôt sa propre volonté créa, sans qu’il s’en aperçût, une passion réelle : il se mit à étudier la vieille fille, et par suite du prestige qu’exerce l’habitude, il finit par n’en voir que les beautés et par en oublier les défauts. Chez