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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/448

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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

qui était jolie, blanche et verte. Là, je fondis en larmes. Henriette m’entendit, elle y vint en apportant un bouquet de fleurs.

— Henriette, lui dis-je, en êtes-vous à ne point pardonner la plus excusable des fautes ?

— Ne m’appelez jamais Henriette, reprit-elle, elle n’existe plus, la pauvre femme ; mais vous trouverez toujours madame de Mortsauf, une amie dévouée qui vous écoutera, qui vous aimera. Félix, nous causerons plus tard. Si vous avez encore de la tendresse pour moi, laissez-moi m’habituer à vous voir ; et au moment où les mots me déchireront moins le cœur, à l’heure où j’aurai reconquis un peu de courage, eh ! bien, alors, alors seulement. Voyez-vous cette vallée, dit-elle en me montrant l’Indre, elle me fait mal, je l’aime toujours.

— Ah ! périsse l’Angleterre et toutes ses femmes ! Je donne ma démission au roi, je meurs ici, pardonné.

— Non, aimez-la, cette femme ! Henriette n’est plus, ceci n’est pas un jeu, vous le saurez.

Elle se retira, dévoilant par l’accent de ce dernier mot l’étendue de ses plaies. Je sortis vivement, la retins et lui dis : — Vous ne m’aimez donc plus ?

— Vous m’avez fait plus de mal que tous les autres ensemble ! Aujourd’hui je souffre moins, je vous aime donc moins ; mais il n’y a qu’en Angleterre où l’on dise ni jamais, ni toujours; ici nous disons toujours. Soyez sage, n’augmentez pas ma douleur ; et si vous souffrez, songez que je vis, moi !

Elle me retira sa main que je tenais froide, sans mouvement, mais humide, et se sauva comme une flèche en traversant le corridor où cette scène véritablement tragique avait eu lieu. Pendant le dîner, le marquis me réservait un supplice auquel je n’avais pas songé.

— La marquise Dudley n’est donc pas à Paris ? me dit-il.

Je rougis excessivement en lui répondant : — Non.

— Elle n’est pas à Tours, dit le comte en continuant.

— Elle n’est pas divorcée, elle peut aller en Angleterre. Son mari serait bien heureux, si elle voulait revenir à lui, dis-je avec vivacité.

— A-t-elle des enfants, demanda madame de Mortsauf d’une voix altérée.

— Deux fils, lui dis-je.