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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/454

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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Jacques fit quelques difficultés.

— Votre père vous veut, allez, mon fils, dit la mère en le poussant.

— Ils m’aiment par ordre, reprit ce vieillard qui parfois voyait sa situation.

— Monsieur, répondit-elle en passant à plusieurs reprises sa main sur les cheveux de Madeleine qui était coiffée en belle Ferronnière, ne soyez pas injuste pour les pauvres femmes ; la vie ne leur est pas toujours facile à porter, et peut-être les enfants sont-ils les vertus d’une mère !

— Ma chère, répondit le comte qui s’avisa d’être logique, ce que vous dites signifie que, sans leurs enfants, les femmes manqueraient de vertu et planteraient là leurs maris.

La comtesse se leva brusquement et emmena Madeleine sur le perron.

— Voilà le mariage, mon cher, dit le comte. Prétendez-vous dire en sortant ainsi que je déraisonne ? cria-t-il en prenant son fils par la main et venant au perron auprès de sa femme sur laquelle il lança des regards furieux.

— Au contraire, monsieur, vous m’avez effrayée. Votre réflexion me fait un mal affreux, dit-elle d’une voix creuse en me jetant un regard de criminelle. Si la vertu ne consiste pas à se sacrifier pour ses enfants et pour son mari, qu’est-ce donc que la vertu ?

— Se sa-cri-fi-er ! reprit le comte, en faisant de chaque syllabe un coup de barre sur le cœur de sa victime. Que sacrifiez-vous donc à vos enfants ? que me sacrifiez-vous donc ? qui ? quoi ? répondez ? répondrez-vous ? Que se passe-t-il donc ici ? que voulez-vous dire ?

— Monsieur, répondit-elle, seriez-vous donc satisfait d’être aimé pour l’amour de Dieu, ou de savoir votre femme vertueuse pour la vertu en elle-même ?

— Madame a raison, dis-je en prenant la parole d’une voix émue qui vibra dans ces deux cœurs où je jetai mes espérances à jamais perdues et que je calmai par l’expression de la plus haute de toutes les douleurs dont le cri sourd éteignit cette querelle comme, quand le lion rugit, tout se tait. Oui, le plus beau privilége que nous ait conféré la raison est de pouvoir rapporter nos vertus aux êtres dont le bonheur est notre ouvrage, et que nous