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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/476

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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

les intérêts, les haines, les amitiés de son amant ; elle acquiert en un jour les subtilités expérimentées de l’homme d’affaires, elle étudie le code, elle comprend le mécanisme du crédit, et séduit la caisse d’un banquier ; étourdie et prodigue, elle ne fera pas une seule faute et ne gaspillera pas un seul louis ; elle devient à la fois mère, gouvernante, médecin, et donne à toutes ses transformations une grâce de bonheur qui révèle dans les plus légers détails un amour infini ; elle réunit les qualités spéciales qui recommandent les femmes de chaque pays en donnant à ce mélange de l’unité par l’esprit, cette semence française qui anime, permet, justifie, varie tout et détruit la monotonie d’un sentiment appuyé sur le premier temps d’un seul verbe. La femme française aime toujours, sans relâche ni fatigue, à tout moment, en public et seule ; en public, elle trouve un accent qui ne résonne que dans une oreille, elle parle par son silence même, et sait vous regarder les yeux baissés ; si l’occasion lui interdit la parole et le regard, elle emploiera le sable sur lequel s’imprime son pied pour y écrire une pensée ; seule, elle exprime sa passion même pendant le sommeil ; enfin elle plie le monde à son amour. Au contraire, l’Anglaise plie son amour au monde. Habituée par son éducation à conserver cette habitude glaciale, ce maintien britannique si égoïste dont je vous ai parlé, elle ouvre et ferme son cœur avec la facilité d’une mécanique anglaise. Elle possède un masque impénétrable qu’elle met et qu’elle ôte flegmatiquement ; passionnée comme une Italienne quand aucun œil ne la voit, elle devient froidement digne aussitôt que le monde intervient. L’homme le plus aimé doute alors de son empire en voyant la profonde immobilité du visage, le calme de la voix, la parfaite liberté de contenance qui distingue une Anglaise sortie de son boudoir. En ce moment, l’hypocrisie va jusqu’à l’indifférence, l’Anglaise a tout oublié. Certes la femme qui sait jeter son amour comme un vêtement fait croire qu’elle peut en changer. Quelles tempêtes soulèvent alors les vagues du cœur quand elles sont remuées par l’amour-propre blessé de voir une femme prenant, interrompant, reprenant l’amour comme une tapisserie à main ! Ces femmes sont trop maîtresses d’elles-mêmes pour vous bien appartenir ; elles accordent trop d’influence au monde pour que notre règne soit entier. Là où la Française console le patient par un regard, trahit sa colère contre les visiteurs par quelques jolies moqueries, le silence des Anglaises est absolu, agace l’âme et taquine