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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/490

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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

vivre comme un lys éternel, je vous enlève vos illusions. Le véritable amour ne calcule rien. Mais ne vous enfuyez pas, restez. Monsieur Origet m’a trouvée beaucoup mieux ce matin, je vais revenir à la vie, je renaîtrai sous vos regards. Puis, quand j’aurai recouvré quelques forces, quand je commencerai à pouvoir prendre quelque nourriture, je redeviendrai belle. À peine ai-je trente-cinq ans, je puis encore avoir de belles années. Le bonheur rajeunit, et je veux connaître le bonheur. J’ai fait des projets délicieux, nous les laisserons à Clochegourde et nous irons ensemble en Italie.

Des pleurs humectèrent mes yeux, je me tournai vers la fenêtre comme pour regarder les fleurs ; l’abbé Birotteau vint à moi précipitamment, et se pencha vers le bouquet : — Pas de larmes ! me dit-il à l’oreille.

— Henriette, vous n’aimez donc plus notre chère vallée ? lui répondis-je afin de justifier mon brusque mouvement.

— Si, dit-elle en apportant son front sous mes lèvres par un mouvement de câlinerie ; mais, sans vous, elle m’est funeste… sans toi, reprit-elle en effleurant mon oreille de ses lèvres chaudes pour y jeter ces deux syllabes comme deux soupirs.

Je fus épouvanté par cette folle caresse qui agrandissait encore les terribles discours des deux abbés. En ce moment ma première surprise se dissipa ; mais si je pus faire usage de ma raison, ma volonté ne fut pas assez forte pour réprimer le mouvement nerveux qui m’agita pendant cette scène. J’écoutais sans répondre, ou plutôt je répondais par un sourire fixe et par des signes de consentement, pour ne pas la contrarier, agissant comme une mère avec son enfant. Après avoir été frappé de la métamorphose de la personne, je m’aperçus que la femme, autrefois si imposante par ses sublimités, avait dans l’attitude, dans la voix, dans les manières, dans les regards et les idées, la naïve ignorance d’un enfant, les grâces ingénues, l’avidité de mouvement, l’insouciance profonde de ce qui n’est pas son désir ou lui, enfin toutes les faiblesses qui recommandent l’enfant à la protection. En est-il ainsi de tous les mourants ? dépouillent-ils tous les déguisements sociaux, de même que l’enfant ne les a pas encore revêtus ? Ou, se trouvant au bord de l’éternité, la comtesse, en n’acceptant plus de tous les sentiments humains que l’amour, en exprimait-elle la suave innocence à la manière de Chloé ?

— Comme autrefois vous allez me rendre à la santé, Félix,