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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/82

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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

comme chez tous les hommes vraiment supérieurs. Rester fidèle au Côté Gauche d’Alençon, c’était gagner l’aversion de mademoiselle Cormon. Là, le chevalier voyait juste. Ainsi cette société, si paisible en apparence, était intestinement aussi agitée que peuvent l’être les cercles diplomatiques où la ruse, l’habileté, les passions, les intérêts se groupent autour des plus graves questions d’empire à empire.

Les convives bordaient enfin cette table chargée du premier service, et chacun mangeait comme on mange en province, sans honte d’avoir un bon appétit, et non comme à Paris où il semble que les mâchoires se meuvent par des lois somptuaires qui prennent à tâche de démentir les lois de l’anatomie. À Paris, on mange du bout des dents, on escamote son plaisir ; tandis qu’en province les choses se passent naturellement, et l’existence s’y concentre peut-être un peu trop sur ce grand et universel moyen d’existence auquel Dieu a condamné ses créatures.

Ce fut à la fin du premier service que mademoiselle Cormon fit la plus célèbre de ses rentrées, car on en parla pendant plus de deux ans, et la chose se conte encore dans les réunions de la petite bourgeoisie d’Alençon quand il est question de son mariage. La conversation devenue très verbeuse et animée au moment où l’on attaqua la pénultième entrée, s’était naturellement prise à l’affaire du théâtre et à celle du curé assermenté. Dans la première ferveur où le royalisme se trouvait en 1816, ceux que, plus tard, on appela les Jésuites du pays, voulaient expulser l’abbé François de sa cure. Du Bousquier, soupçonné par monsieur de Valois d’être le soutien de ce prêtre, le promoteur de ces intrigues, et sur le dos duquel le gentilhomme les aurait d’ailleurs mises avec son adresse habituelle, était sur la sellette sans avocat pour le défendre. Athanase, le seul convive assez franc pour soutenir du Bousquier, ne se trouvait pas posé pour émettre ses idées devant ces potentats d’Alençon qu’il trouvait d’ailleurs stupides. Il n’y a plus que les jeunes gens de province qui gardent une contenance respectueuse devant les gens d’un certain âge, et n’osent ni les fronder, ni les trop fortement contredire. La conversation, atténuée par l’effet de délicieux canards aux olives, tomba soudain à plat. Mademoiselle Cormon, jalouse de lutter contre ses propres canards, voulut défendre du Bousquier, que l’on représentait comme un pernicieux artisan d’intrigues, capable de faire battre des montagnes.