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Page:Balzac - Contes drolatiques.djvu/123

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LA MYE DU ROY.

escuz, vous n’aurez pas tant seulement un rouge liard, si ladicte chamberière ne vient léans ensaccher le prix de ce cas qui est si grant alquémiste ! il mue le sang en or, vray Dieu !

— Oh ! ce sera ung bon tour, si luy faictes signer un acquit, repartit le seigneur en riant.

La meschine vint sans faulte au rendez-vous des escuz chez l’advocat qui avoyt prié le seigneur de la luy amener. Et faictes estat que sires ducats estoyent bel et bien rangez comme nonnes allant à vespres, couchiez iuz une table, et auroyent desridé ung asne en train d’estre estrillé, tant belles et luysantes estoyent les braves, les nobles, les ieunes piles. Le bon advocat n’advoyt point estably ceste visée pour les asnes. Aussy la meschinette se pourlescha-t-elle trez-humidement les badigoinces, disant mille patenostres de cinge aux dicts escuz. Ce que voyant, le mary luy souffla dedans l’aureille ces mots qui suoyent l’or : — Cecy est à vous !

— Ha ! dit-elle, ie n’ay iamais esté payée si chier !

— Ma mye, respartit le chier homme, vous les aurez sans estre grevée de moy… Et la destournant ung petit :

— Vostre client ne vous ha point dict comment on me nomme, hein ? feit-il. Non ? Ores apprenez que ie suis le vray mary de la dame que le Roy ha desbauchée de son office, et que vous servez. Emportez-luy ces escuz et revenez icy : ie vous compteray les vostres, à une condition qui sera de vostre goust.

La meschine effrayée se raffermit, et feut moult curieuse de sçavoir à quoy elle gaigneroyt douze mille escuz sans touchier à l’advocat ; aussy ne faillit-elle point à tost revenir.

— Ores çà, ma mye, luy dit le mary, vécy douze mille escuz ; mais avecques douze mille escuz on acquiert des domaines, des hommes, des femmes et la conscience de trois prebstres au moins ; par ainsy, ie cuyde que, pour ces douze mille escuz, ie puis vous avoir corps, ame, hypocondrilles et tout. Et i’auray créance en vous, comme ont les advocats : donnant, donnant. Ie veulx que vous alliez incontinent chez le seigneur qui croit estre aymé ceste nuict par ma femme, et que vous le tartruphiez, en luy contant comme quoy le Roy vient souper chez elle, et que, pour ce soir,