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Page:Balzac - Contes drolatiques.djvu/236

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CONTES DRÔLATIQUES.

merchans l’avoyent convié de venir arrangier des méchaniques à faire des haubergeons. Pendant sa longue absence, Carandas, qui avoyt du sang maure dans les veines, veu qu’il descendoyt d’ung ancien Sarrasin quitté quasy mort dans le grand combat qui se donna entre les Moricauds et les Françoys en la commune de Ballan (dont est question au Conte précédent), auquel lieu sont les landes dictes de Charlemaigne, où il ne poulse rien, pour ce que des mauldicts, des mescréans, y sont ensevelis, et que l’herbe y damne mesmes les vasches ; doncques, ce Carandas ne se levoyt ni ne se couchioyt en pays estrange, sans songier comment il donneroyt pasture à ses dezirs de vengeance, et il resvoyt tousiours et ne vouloyt guères moins que le trespas de la bonne buandière de Portillon, et souventes foys se disoyt : « Ie mangeroys de sa chair. Da ! ie ferois cuire l’ung de ses tettins et le crocqueroys, mesmes sans saulce ! » C’estoyt une haine cramoisie, de bon tainct, une haine cardinale, une haine de guespe ou de vieille fille ; mais c’estoyent toutes les haines cogneues, fondues en une seule haine laquelle rebouilloyt, se concoctionnoyt et se résolvoyt en un élixir de fiel, de sentimens maulvais et diabolicques, chauffé au feu des plus flambans tisons de l’enfer ; enfin, c’estoyt une maistresse haine.

Ores, ung beau iour, ledict Carandas revint en Touraine avecques force deniers qu’il rapporta des pays de Flandres, où il avoit trafficqué de ses secrets méchaniques. Il achepta un beau logiz dans la rue Montfumier, lequel se veoit encores et faict l’estonnement des passans, pour ce que il ha des rondes-bosses bien plaisantes praticquées sur les pierres des murs. Carandas le haineux treuva de bien notables changemens chez son compère le taincturier, veu que le bonhomme avoyt deux iolis enfans, lesquels, par cas fortuit, ne présentoyent aulcune ressemblance ni avecques la mère, ni avecques le père ; mais comme besoing est que les enfans ayent une ressemblance quelconque, il y en ha de rusés qui vont chercher les traicts de leurs ayeulx, quand ils sont beaux, les petits flatteurs ! Doncques, en revanche, il estoyt treuvé par le bon mary que ses deux gars ressembloyent à ung sien oncle, iadis prebstre à Nostre-Dame de l’Esgrignolles ; mais pour aulcuns diseurs de gogues, ces deux marmots estoyent les pourtraictures vivantes d’ung gentil tonsuré, desservant de Nostre-Dame la Riche, célèbre paroësse située entre Tours et le Plessis. Ores, croyez une chouse, et inculquez-la dans votre esperit ; et quand, en cettuy livre, vous n’auriez broutté, tiré à vous, extraict,