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Page:Balzac - Contes drolatiques.djvu/280

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CONTES DROLATIQUES.

effrayées des paroles, mais voulant en sçavoir davantaige.

— Et il suffit d’aymer pour souffrir ? dit une sœur.

— Oh ! oui, mon doulx Iésus, s’escria la sœur Ovide.

— Vous aymeriez une paouvre petite foys ung ioly gentilhomme, reprint la sœur Ursule, que vous auriez la chance de veoir vos dents s’en aller une à une, vos cheveulx tomber ung à ung, vos ioues bleuir, vos cils se desplanter avecques des douleurs sans pareilles, et l’adieu de vos plus gentilles chouses vous couste bien chier. Il y a de paouvres femmes auxquelles vient une escrevisse au bout du nez, d’aultres ont une beste à mille pattes qui fourmille tousiours et ronge ce que nous avons de plus tendre. Enfin, le pape a esté obligé d’excommunier ceste nature d’amour.

— Ah ! que ie suis heureuse de n’avoir rien eu de tout cela ! s’escria bien gracieusement la novice.

En entendant ceste remembrance d’amour, les sœurs se doubtèrent que la susdicte s’estoyt ung peu desgourdie à la chaleur de quelque crucifix de Poissy, et avoyt truphé la sœur Ovide en se gaudant d’elle. Toutes se resiouirent d’avoir en elle une bonne robbe, bien gaye ; comme de faict elle estoyt, et luy demandèrent à quelle adventure elles debvoyent sa compaignie.

— Hélas ! dit-elle, ie me suis laissé mordre par une grosse puce qui avoyt ia esté baptizée.

A ce mot, la sœur au la-dieze ne put retenir ung second sospir.

— Ah ! dit la sœur Ovide, vous estes tenue de nous monstrer le troisiesme. Si vous parliez ce languaige au chœur, l’abbesse vous mettroyt au régime de la sœur Pétronille. Ainsy boutez une sourdine à vostre musicque.

— Est-il vray, vous qui avez cogneu la sœur Pétronille en son vivant, que Dieu lui avoyt impétré le don de n’aller que deux foys l’an à la chambre des comptes ? demanda la sœur Ursule.

— Oui, feit la sœur Ovide. Et il luy arriva ung soir de rester accropie iusques à matines, disant : « Ie suis là, à la voulenté de Dieu ! » Mais au premier verset, elle feut délivrée, pour qu’elle ne manquast point l’office. Néantmoins la feue abbesse ne vouloyt pas que cela vinst d’une espéciale faveur octroyée d’en hault, et disoyt que la veue de Dieu n’alloyt point si bas. Vécy le faict : deffuncte nostre sœur, dont nostre Ordre poursuict à ceste heure la canonisation en la court du Pape, et l’auroyt obtenue, s’il pouvoyt payer les loyaulx cousts du Bref, Pétronille doncques eut