Aller au contenu

Page:Balzac - Contes drolatiques.djvu/349

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
321
LE IOYEULX CURÉ DE MEUDON.

d’où nous sommes tous yssus : mais les hommes se sont mesalliez, et point les muzaraignes, pour ce que les muzaraignes sont ialoux de leur blason plus que tous aultres animaulx, et ne recevroyent point ung mulot des champs parmy eulx, encores que cettuy mulot auroyt l’especial don de transmuter les grains de sable en iolies noisettes fresches. Ceste belle vertu de gentilhomme ayant plu au bon Gargantua, il eut l’imagination de bailler à ce muzaraigne la lieutenance de ses grayniers, avecques les plus amples pouvoirs : la Iustice, Committimus, Missi Dominici, Clergié, Gens d’armes, et tout. Le muzaraigne promit de bien accomplir sa charge et faire son debvoir en féal muzaraigne, à la condition de vivre au tas de bled, ce que bon Gargantua treuva légitime. Vécy mon muzaraigne de cabrioler en son beau pourpriz, heureux comme ung prince qui est heureux, allant recognoistre ses immenses pays de moutarde, contrées de sucreries, province de iambons, duchiez de raisins, comtez d’andouilles, baronnies de toutes sortes, grimpant ez tas de bled, et balayant tout de sa queue. Brief, partout avecques honneur feut receu le muzaraigne par les pots qui se tindrent en ung respectueux silence, sauf ung ou deux hanaps d’or qui s’entre-chocquèrent comme cloches d’ecclise, en manière de toc sainct, ce dont il se monstra trez-content, et les mercia, de dextre à senestre, par ung hoschement de teste, en se pourmenant dedans ung rais de lumière qui soleilloyt en son pourpriz. Là resplendit si bien la couleur tannée de son pellage, que vous eussiez cuydé ung roy du Nord en sa fourreure de martre zibeline. Puis après ses tours, retours, saults et cabrioles, crocqua deux grains de bled, assis sur le tas, comme ung roy en court plenière, et se crut le plus brave des muzaraignes. En cettuy moment vindrent, en leurs trous accoustumez, messieurs de la Court noctambule, veu que ils courent à petits pieds ez planchiers, lesquels sont les rats, souriz, et ung chascun des bestes rongeuses, pillardes, fainéantes, dont se plaignent les bourgeoys et mesnaigieres. Ores toutes, voyant ce muzaraigne, eurent paour et se tindrent coys au seuil de leurs taudiz. Parmy toutes ces testes menues, maulgré le dangier, s’advança moult ung vieulx mescréant de la race trotteuse et grignoteuse des souriz, lequel, mettant son museau à la croisée, eut le couraige d’envisager ce sieur Muzaraigne, fièrement campé sur son cul, la queue en l’aër, et recogneut finablement que ce estoyt ung diable avecques lequel il n’y avoyt que coups de griffes à gaigner.