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Page:Balzac - Contes drolatiques.djvu/411

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LE SUCCUBE.

Lors par nous ha esté requise de dire où se faisoyent ses oraisons.

Par elle qui parle ha esté dict que elle prioyt en son oratoire, à genoilz devant Dieu, qui, selon l’Évangile, veoit, entend tout et réside en tous lieux.

Lors par nous ha esté demandé pourquoy elle ne fréquentoyt point les ecclises ni les offices et festes. A ce par elle qui parle ha esté respondu que ceulx qui venoyent pour l’aymer avoyent esleu les iours feriez pour s’esbattre, et que, elle qui parle, faisoyt tout à leurs voulentez.

Par nous luy ha esté remonstré chrestiennement que, par ainsy, elle estoyt en soubmission des hommes plus que des commandemens de Dieu.

Lors par elle qui parle ha esté dict que, pour ceulx qui la bien aymoyent, elle qui parle se seroyt gectée en buschers ardens, n’ayant oncques suyvy en son amour aultre cours que celluy de sa nature, et, pour le monde poisant d’or, n’eust presté ny son corps ny son amour à ung Roy que elle n’eust point aymé de cueur, de pieds, de teste, de cheveulx, de front et de tout poinct. Brief, et d’abundant, elle qui parle n’avoyt iamais faict acte de galloise en vendant ung seul brin d’amour à ung homme que elle n’eust point esleu pour sien, et que cil qui l’avoyt tenue en ses bras une heure, ou l’avoyt baisée ung petit en la bouche, la possédoyt pour le demourant de ses iours.

Lors par nous ha esté requise de dire d’où procédoyent les ioyaulx, plats d’or, argent, pierres prétieuses, meubles royaulx, tapis, et cætera, valant deux cent mille doublons, suyvant expertise treuvée en son logiz, et remis en guarde du threzorier du Chapitre. Par elle qui parle ha esté dict que en nous elle plaçoyt tout son espoir, autant que en Dieu mesme, mais que elle n’osoyt respondre à cecy, pour ce qu’il s’en alloyt des plus douces chouses de l’amour, dont elle avoyt tousiours vescu.

Puis, interpellée de rechief, ha dict elle qui parle que si, nous iuge, cognoissions en quelle ferveur elle tenoyt celluy que elle aymoyt, en quelle obedience le suyvoyt par toute voye bonne ou maulvaise, en quelle estude luy estoyt soubmise, avecques quel bonheur elle escoutoyt ses dezirs et aspiroyt les sacres paroles desquelles sa bouche la gratifioyt, en quelle adoration avoyt sa personne, nous-mesme, vieulx iuge, cuyderions, comme ses bien-aymez, nulle somme ne pouvoir payer ceste grant affection