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Page:Balzac - Contes drolatiques.djvu/509

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SUR LE MOYNE AMADOR.

à meurdrir aultruy, estoyt comme ung enfansson au resguard de sa dame ; cas dont sont coustumiers les souldards, pour ce que en eulx gist la force et se rencontrent les espaisses charnositez de la matière, tandis que, au rebours, se treuve en la femme ung esperit subtil et ung brin de la flamme perfumée qui esclaire le paradiz, ce qui esbahit moult les hommes. Cecy est la raison pourquoy aulcunes femmes menent leurs espoux, veu que l’esperit est le roy de la matière.


Sur ce, les dames se prindrent à rire et aussy le Roy.


— Ie me tairay point, feit la dame de Candé (dit l’abbé en continuant le conte), ie suis trop oultraigiée : cecy est doncques le loyer de mes grans biens, de ma saige conduicte ! Vous ay-ie jamais reffeusé de vous obéir, voire maulgré le quaresme et les iours de ieusne ? Suis-je fresche à geler le soleil ? cuydez-vous que ie fasse les chouses par force, debvoir ou pure complaisance ? Ay-ie ung caz bénit ? Suis-ie une chaasse saincte ? Estoyt-il besoing d’ung bref du pape pour y entrer ? Vertu de Dieu ! y estes-vous si fort accoustumé, que vous en soyez las ? ay-ie pas faict tout à vostre goust ? les meschines en sçavent-elles plus que les dames ? Ha ! cecy sans doubte est vray, pour ce que elle vous ha laissé fassonner son champ sans le semer. Enseignez-moi cettuy mestier, ie le praticqueray avecques ceulx que ie prendray pour mon service : car, voilà qui est dict, ie suis libre. Cela est bien. Vostre compaignie estoyt grevée de trop d’ennuy, et vous me vendiez trop chier ung maulvais boussin de liesse. Mercy Dieu ! ie suis quitte de vous et de vos phantaisies, pour ce que ie me retireray en ung moustier de religieux…

Elle cuydoyt dire de religieuses, mais ce moyne vengeur luy avoyt perverty la langue.

— … Et ie seray mieulx avecques ma fille en ce moustier qu’en ce lieu d’abominables perversitez. Vous hériterez de vostre meschine. Ha ! ha ! la belle dame de Candé que vécy !

— Que est-il advenu léans ? feit Amador, qui se monstra soubdain.

— Il advient, mon père, respondit-elle que vécy qui crie vengeance. Pour commencer, ie vais faire gecter à l’eaue ceste villotière, cousue en ung sac, pour avoir destourbé la graine de la maison de Candé à son prouffict : ce sera espargner de la besongne au bourreau. Pour le demourant, ie veulx…