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Page:Balzac - Contes drolatiques.djvu/552

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CONTES DROLATIQUES.

plain lict, et se dressa en pieds auprès, priant avecques son fils auquel elle dit lors que cettuy prieur estoyt son vray père. En cet estat attendit la male heure, et la male heure ne luy faillit point, veu que, vers la unziesme heure, Bastarnay vint et luy feut dict, à la herse, que le moyne estoyt mort, et point Madame ne l’enfant, et veit son beau genest crevé. Lors esmeu par ung furieux dezir d’occire Berthe et le fils au moyne, il franchit les degrez d’ung sault ; ains à la veue de cettuy mort pour qui sa femme et le fils récitoyent des litanies sans les interrompre, n’ayant point d’aureilles pour ces vehémentes querimonies, n’ayant point d’yeulx pour veoir ses tourdions et menasses, il n’eut plus le couraige de perpetrer ce noir forfaict. Après ce prime feu gecté, ne sçeut que résouldre et alloyt par la salle comme ung homme couard et prins en faulte, féru par ces prières tousiours dictes sur cettuy moyne. La nuict feut consumée en pleurs, gémissemens et oraisons. Par ung exprès commandement de Madame, la meschine avoyt esté lui achepter à Losches ung vestement de demoiselle noble, et pour son paouvre petit ung cheval et des armes d’escuyer ; ce que voyant le sieur de Bastarnay feut trez-estonné ; lors il envoya querir Madame et le fils au moyne, ains ne l’enfant ne la mère ne donnèrent de response, et pouillèrent les vestemens acheptez par la meschine. Par ordre de Berthe, ceste meschine faisoyt le compte de la maison de Madame, disposoyt ses habits, perles, joyaulx, diamans, comme se disposent ces chouses pour le renoncement d’une veufve à ses droicts. Berthe ordonna mesme de placer, sur le tout, son aumosnière, à ceste fin que la cerémonie feust parfaicte. Le bruit de ces préparatifves courut par la maison ; ung chascun veit alors que Madame alloyt la laisser, ce qui engendra la marrisson dans tous les cueurs, veoir mesmes en l’ame d’ung petit marmiteux venu ceste sepmaine, lequel plouroyt pour ce que Madame luy avoyt ià dict ung mot gracieux. Espouvanté de ces apprests, le vieux Bastarnay vint en la chambre de Madame, et la treuva plourant auprès du corps de Iehan, car les larmes estoyent advenues ; ains les seicha, voyant son sieur espoux. A ses interroguations sans numbre elle respondit briefvement par l’aveu de sa coulpe, disant comment elle avoyt esté truphée ; comment le paouvre paige avoyt esté navré, monstrant sur le mort la blessure du poignard ; combien avoyt esté longue sa guarrison ; puis comment, par obéissance pour elle et par