Aller au contenu

Page:Balzac - Contes drolatiques.djvu/73

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
45
LE PÉCHÉ VÉNIEL.

— Ah ! feit-elle d’une mine songeuse, c’est doncques la raison pourquoi ma mère pleuroyt de ladicte métamorphose ; mais Berthe de Preuilly, qui est si dévotieuse d’estre muée en femme, m’ha dict que rien ne estoyt de plus facile au monde.

— C’est selon l’aage, respondit le vieulx seigneur. Mais avez-vous veu à l’escuyerie la belle hacquenée blanche, dont on parle tant en Touraine ?

— Oui, elle est bien doulce et plaisante.

— Eh bien, ie vous la donne ; et vous pourrez la monter toutes et quantes foys que vous en aurez la phantaisie.

— Oh ! vous estes bien bon, et l’on ne me ha pas menty en me le disant.

— Icy, reprint-il, ma mye, le sommelier, le chapelain, le thrézorier, l’escuyer, le queux, le baillif, voire mesme le sire de Montsoreau, ce ieune varlet qui ha nom Gauttier et porte ma bannière, avecques ses hommes d’armes, capitaines, gens et bestes, tout est à vous, et suyvra vos commandemens à grand erre, soubz peine d’estre incommodé de la hart.

— Mais, reprint-elle, ceste opération d’alquemie ne sçauroyt-elle se faire incontinent ?

— Oh ! non, reprit le senneschal. Pour ce, il faut que, sur toute chouse, nous soyons l’un et l’aultre en parfaict estat de graace devant Dieu ; sinon, nous aurions ung maulvais enfant, couvert de péchez ; ce qui est interdict par les canons de l’Ecclise. C’est la raison de ce que se treuvent tant de garnemens incorrigibles dans le monde. Leurs parens n’ont point saigement attendu d’avoir l’ame saine, et ont faict de meschantes ames à leurs enfans : les beaulx et vertueux viennent de pères immaculez… C’est pour ce que, nous aultres, faisons bénir nos licts, comme ha faict l’abbé de Marmoustiers de cettuy-cy… N’avez-vous pas transgressé les ordonnances de l’Ecclise ?

— Oh ! non, dit-elle vivement ; i’ay reçu, avant la messe, l’absolution de toutes mes faultes ; et, depuis, suis restée sans commettre le plus menu péché.

— Vous estes bien parfaicte ! … s’escria le rusé seigneur, et suis ravy de vous avoir pour espouse : mais moy, i’ay iuré comme un payen.

— Oh ! Et pourquoy ?

— Pour ce que la dance ne finoyt point, et que ie ne pouvoys vous avoir à moy, pour vous emmener icy et vous baiser.