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Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/121

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Mais ils ont soin de ne jamais rien demander à un tel. Ils le craignent, et, quoique imperceptible, la crainte que témoigne le pigeon réagit sur les autres, et sert à un tel.

— C’est un fier homme que un tel, dit le pigeon. Ha ! ha ! vous verrez, il sera ce qu’il voudra être. Je ne m’étonnerais pas de le trouver un jour ministre des affaires étrangères. Rien ne lui résiste.

Puis le pigeon fait de un tel ce que le caporal Trim faisait de son bonnet, un enjeu perpétuel.

— Demandez à un tel, et vous verrez !

Ou bien : « L’autre jour, nous chassions, un tel et moi ; il ne voulait pas me croire, j’ai sauté un buisson sans bouger de mon cheval ! »

Ou bien : « Nous étions, un tel et moi, chez des femmes, et, ma parole d’honneur, j’étais, etc. »

Un beau jour, si vous demandiez à un tel s’il connaît M. Paul de Manerville, l’héritier débarqué, un tel le définirait ainsi : « Vous me demandez ce que c’est que Paul ? Mais Paul… c’est Paul de Manerville ! »

Parmi les jeunes gens à la mode, il s’est formé, depuis la révolution de Juillet une secte nommée la secte des négateurs. Le négateur est celui qui, ne sachant rien, nie tout pour en finir avec toute espèce de choses. Là où l’ignorant fait une tache, le négateur fait un trou. Il nie le gouvernement, il nie la légitimité, il nie Philippe, il nie Henri, il ne nie pas Dieu, parce que pour lui Dieu n’existe pas ; il ne nie que ce qui existe ; il nie la liberté, il nie la république, il nie l’aristocratie, il nie le peuple, il nie la science, il vous nie la négation ; seulement, il ne nie pas le niais ; acte d’humilité dont il faut lui tenir compte.

Les sécateurs sont une secte qui s’est formée pour contrecarrer les négateurs. Le sécateur tranche, affirme ; avec lui tout existe. Il dit : « Vous êtes un sot, » là où le négateur dit : « Vous n’êtes rien du tout. » Le sécateur est généralement plus riche, plus impertinent, plus spirituel que ne l’est le négateur. Nier est une impuissance, affirmer est l’abus de la force. L’un agit, l’autre proteste.

Quand un sécateur et un négateur se rencontrent, la conversation marche assez bien ; et, s’ils sont gens de bonne compagnie, il n’y a pas de duel ; mais, s’il survient des seconds, ils ne s’entendent plus, parce que deux négations font une affirmation et ils s’embarrassent au point de dire quelque chose de juste qu’il est cependant assez difficile de deviner à cause des opérations algébriques qu’il faut faire pour soustraire les fausses quantités ; aussi quelques étrangers qui savent le français, sont-ils fort étonnés quand ils se trouvent sous les feux croisés d’une batterie négatrice répondant à l’artillerie sécatrice.

Néanmoins, croyez-moi, je vous affirme qu’il existe entre ces deux termes des jeunes gens qui ne sont rien, qui semblent n’avoir été créés que pour porter des pantalons, et qui ont beaucoup de succès auprès des femmes, précisément parce qu’ils portent des pantalons.

En 1843, l’auteur enleva la note de cette partie, et la dédia pour la première fois dans le tome I de la troisième édition des Scènes de